Esther Benbassa : Projet de loi relatif à l’exécution des peines
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« Au lieu de renforcer le suivi socio-judiciaire des condamnés, vous préférez, Monsieur le Garde des Sceaux, construire des prisons et multiplier les lois répressives et liberticides »

Projet de loi relatif à l’exécution des peines / 27 février 2012

Esther Benbassa

Dossier législatif

 

Monsieur le Président, Monsieur le Garde des Sceaux, Madame la rapporteure, Mes chèr-E-s collègues,

Le texte qui nous réunit est un aveu d’échec. Echec de la commission mixte paritaire, certes, mais surtout échec de la politique gouvernementale en matière d’exécution des peines.

En première lecture, notre commission des lois avait eu à cœur, via l’excellent travail de notre rapporteure, d’élaborer un texte en phase avec les problèmes de notre société et respectueux des libertés publiques. Le groupe écologiste l’avait bien évidemment voté.

Il en va tout autrement de la version du projet de loi en discussion aujourd’hui.

L’Assemblée nationale a, effectivement, supprimé les nouveaux articles introduits par le Sénat, à l’exception toutefois de l’article 7 ter relatif à la réalisation des expertises psychiatriques par les praticiens hospitaliers, et a rétabli le projet de loi dans la version adoptée par elle en première lecture.

Nous devons donc débattre d’une loi qui est à l’image des points de focalisation du Gouvernement, dont l’accroissement en continu du nombre de places en prison ! Cette politique de l’enfermement ne résout pas les problèmes. Au lieu de renforcer le suivi socio-judiciaire des condamnés, vous préférez, Monsieur le Garde des Sceaux, construire des prisons et multiplier les lois répressives et liberticides.

La prévention, les peines alternatives à l’enfermement, la réinsertion : voici quelques-unes des clés essentielles de nos problèmes. Or je ne vois pas qu’elles trouvent le moindre écho dans la politique pénale et carcérale que l’on nous soumet ici !

Vous continuez, Monsieur le Ministre, à refuser toute concertation avec les professionnels de la justice. N’entendez-vous donc pas les sonnettes d’alarme tirées par le corps de la magistrature et les services pénitentiaires ?

Quant à votre volonté de modifier sans cesse le droit pénal des mineurs à coup de mesures inadaptées, j’ai déjà eu l’occasion de le contester fermement dans cet hémicycle !

Le groupe écologiste réaffirme donc son attachement à un traitement global de la délinquance juvénile et, ce, en partenariat avec les acteurs de terrains et les éducateurs spécialisés, ainsi que son souhait de doter la PJJ de davantage de moyens financiers et humains. Et ceci en milieu ouvert pour donner une chance à ces mineurs de sortir du cercle vicieux de la délinquance en acquérant les outils nécessaires à un nouveau démarrage dans la vie.

Consciente de la complexité du monde carcéral, je souhaite que l’on accorde une place plus importante à la réflexion. Or, le présent projet de loi nous est, une fois de plus, soumis dans la précipitation. Je rappelle que notre commission des lois n’en a été saisie que mercredi dernier. Ce n’est évidemment pas ainsi que le parlement peut travailler de façon efficace et élaborer des mesures respectueuses des personnes détenues et de leur dignité.

Des solutions allant dans le sens d’une meilleure réinsertion des intéressés et visant à limiter le nombre des récidives sont proposées par diverses associations. Je pense, par exemple, au travail conséquent déjà effectué en matière d’accès à l’éducation et à la formation des personnes incarcérées et aux divers ateliers qui peuvent être mis en place à cet effet. C’est cette voie qui doit être privilégiée, celle du socio-éducatif, mais en aucun cas celle du « tout répressif » qui ne se soucie guère de l’avenir des détenus et les enfonce toujours davantage dans la délinquance.

Le contrôleur général des lieux de privation et de liberté, dans son rapport 2011 présenté la semaine dernière, recommande, d’ailleurs, qu’une « réflexion interministérielle s’engage dans l’objectif d’améliorer l’articulation entre formation professionnelle et adaptation à l’emploi interne aux établissements ».

« De l’éducation de son peuple dépend le destin d’un pays » écrivait Benjamin Disraeli. Il semble, Monsieur le Garde des Sceaux, que le Gouvernement préfère les prisons. Les classes ferment, les moyens de leur action sont refusés aux établissements scolaires des zones prioritaires ou sensibles. Point d’heures de soutien supplémentaire pour ces jeunes en difficulté, pas de suivi innovant en dehors de l’école ! On préfère à cela enfermer les enfants de plus en plus jeunes et les traiter pénalement comme des adultes !

La solution n’est donc pas de créer 24000 places de prison supplémentaires, dont 7000 pour les courtes peines. Il est en outre indigne d’affoler artificiellement l’opinion publique pour mieux prétendre la rassurer en évaluant la prétendue «dangerosité» des détenus. Quoi de plus simple – et de plus démagogique – que d’éteindre des incendies que l’on a soi-même allumés ?

Monsieur le Ministre, c’est autre chose que des lois d’affichage qu’espèrent nos concitoyens. Tous ceux qui aspirent à une France plus juste ne n’y tromperont pas ! Le rôle du législateur n’est pas de produire des lois d’opportunité en fonction des faits divers du moment ou de ce qu’on imagine être les attentes d’un électorat, à trois mois d’échéances cruciales.

Pour toutes ces raisons les sénatrices et sénateurs du groupe écologiste, foncièrement hostiles à ce projet de loi, voteront pour la question préalable.

Merci de votre attention.