Eva Joly répond à Human Rights Watch
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Monsieur le Directeur,

Je tiens à vous remercier pour votre initiative visant à engager les candidat-e-s aux élections présidentielles sur le chemin des droits de l’Homme.

Les piliers de l’Etat de droit, notamment le respect de l’indépendance de la justice et de la presse, l’égalité des citoyens dans l’accès aux droits, l’impartialité et la neutralité des institutions, ont été gravement mises en cause sous la présidence qui s’achève.

La France a été à plusieurs reprises pointée du doigt voir condamnée pour violation de ses obligations en matière de droits fondamentaux : Le recours abusif à la force et l’impunité des forces de l’ordre, la maltraitance des détenu-e-s, la précarisation des conditions de séjour des étrangers, les expulsions forcées, les actes et propos racistes au sommet de l’Etat ont gravement entaché la réputation de la France « pays des droits de l’Homme » et fragilisé les fondements de notre vivre-ensemble démocratique.

C’est pourquoi je m’engage à mettre en œuvre ou renforcer les organes et mécanismes nationaux européens et internationaux afin de garantir l’efficacité du système de protection des droits humains. Les institutions de l’Etat doivent retrouver la confiance des citoyens, pour cela elles doivent être rendues comptables de leurs éventuels manquements aux obligations d’impartialité, d’indépendance et de respect des droits fondamentaux.

Le respect de l’égalité sera inscrit au cœur de l’action de l’Etat, égalité entre les hommes et les femmes, reconnaissance du mariage de personnes de même sexe, autonomisation et pleine citoyenneté des personnes handicapées, égalité des droits entre travailleurs nationaux et immigrés et notamment politique de régularisation de leur séjour, droit de vote pour tous les résidents aux élections locales et nationales… L’égalité comme principe actif et une politique assumée de lutte contre les discriminations et libérer les énergies citoyennes et régénérer les institutions.

Je n’accepte pas la gouvernance par la peur et le recours aux boucs émissaires revendiqués dans le discours de Grenoble, pas plus que les politiques répressives et liberticides qui l’accompagnent. Je n’accepte pas non plus la restriction voire la violation des droits fondamentaux sous prétexte de lutte contre le terrorisme comme je n’accepte pas les actes terroristes qui nient les droits de l’Homme.

La crise profonde que nous traversons, financière, écologique et sociale est aussi une crise démocratique. Affronter les temps qui viennent exige la pleine participation de citoyens libres et égaux en droits et une diplomatie à cette image. Nous ne pouvons exiger un respect des droits fondamentaux à l’extérieur de nos frontières quand nous-mêmes nous n’y veillons pas, ce n’est qu’à ce titre que notre diplomatie changera. C’est mon pari d’avenir!

Je m’engage pour les droits de l’Homme et je vous prie de trouver mes réponses détaillées ci-joint aux 10 questions test aux candidats pour les droits de l’Homme en France et dans le monde.

Je vous prie d’agréer, Monsieur Fardeau, l’expression de mes salutations sincères.

Eva Joly

 

I. France

1- Relations police/jeunes dans les quartiers défavorisés – Problèmes posés par les contrôles d’identité abusifs

Mettrez-vous en place un système obligeant la police à remettre une attestation écrite pour chaque contrôle d’identité effectué, indiquant notamment les raisons motivant le contrôle ?

Une telle démarche ne sera bien sûr pas suffisante pour résoudre le problème des abus de contrôles d’identité auxquels sont confrontés de nombreux habitants des quartiers défavorisés, mais elle apparaît nécessaire sur le plan symbolique. Je suis donc favorable à ce qu’à chaque contrôle d’identité, des récépissés soient remis par les gendarmes et policiers aux personnes contrôlées. Cela constituera un premier pas permettant la reconnaissance des dérives et une meilleure appréhension du problème, afin d’aboutir à des solutions adéquates.

La mise en place de tels récépissés devra être accompagnée d’un travail sur la formation des agents des forces de l’ordre, qui doit intégrer les bonnes pratiques des contrôles d’identité. Le prochain ministre de l’intérieur devra aussi donner des consignes claires sur les comportements et montrer une rupture avec la période Sarkozy. Car certaines dérives dans les pratiques policières actuelles résultent aussi du sentiment qui a pu se diffuser que celles-ci étaient couvertes voire encouragées au plus haut niveau.

 

2- Droits des femmes

Ratifierez-vous la Convention du Conseil de l’Europe sur « la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique » afin d’appliquer ses dispositions en France ?

Oui, je la ratifierai. Mais mon ambition pour lutte contre et prévenir les violences faites aux femmes ne s’arrêtera bien évidemment pas à la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe. Ainsi j’engagerai un débat au Parlement pour aboutir dès 2012 à une loi-cadre contre les violences faites aux femmes qui intègre un large volet de prévention, un meilleur accompagnement des femmes victimes de violences et un renforcement des dispositifs juridiques existants.

Par ailleurs, mon projet présidentiel vise à atteindre de façon effective l’égalité femmes-hommes via la mise en place d’un Ministère dédié et des mesures spécifiques sur l’égalité salariale, l’articulation des temps de vie, la garantie et l’extension des droits conquis des femmes, la lutte contre les stéréotypes de genre.

 

3- Les Roms en France

Quelle politique avez-vous l’intention de promouvoir afin de garantir le plein respect des droits à la libre circulation et la non-discrimination des Roms d’Europe centrale ?

Les Roms de Roumanie et de Bulgarie ont le droit comme tout citoyen européen de circuler librement en Europe et s’ils le souhaitent de s’y installer. Le droit européen proscrit toute discrimination selon l’origine ethnique des personnes. La France comme les autres Etats membres de l’Union européenne doit élaborer une stratégie nationale pour l’intégration des Roms d’ici 2020 qui sera suivie de près par la Commission européenne et le Parlement européen. Concrètement pour amélioer la situation des Roms migrants en France, la première mesure sera la levée des mesures transitoires dans l’accès à l’emploi pour les citoyens roumains et bulgares comme l’ont déjà fait la plupart des Etats membres. Elles sont un obstacle insurmontable à l’intégration des Roms ! Les Roms migrants originaires d’ex-Yougoslavie doivent aussi voir leur situation régularisée s’ils sont installés depuis longtemps sur le territoire comme c’est souvent le cas depuis plus de 10 ans. Le second levier pour lutter contre l’habitat précaire et les conditions de dénuement extrême des personnes installées dans des campements, en hébergement d’urgence ou en logement diffus est de permettre un accès réel au droit commun : des politiques innovantes d’accompagnement sanitaire et social, d’accès à l’école, au logement, à la formation et de luttes contre les discriminations doivent être mises en œuvre. Les campements ne peuvent pas être une solution, ils sont le résultat d’une volonté de pourrissement qui oblige maintenant à gérer l’urgence. Je m’engage à réunir tous les acteurs Etat, collectivités, associations, collectifs citoyens et Roms pour travailler ensemble à relever ce défi de l’égale dignité !

 

 

II. Diplomatie et droits de l’Homme

4- Syrie / Conséquences du « Printemps Arabe »

Etes-vous d’accord pour maintenir une forte pression sur la Russie et la Chine afin que ces pays soutiennent une résolution du Conseil de Sécurité des Nations unies dénonçant les violations des droits de l’Homme commises par les autorités syriennes ?

Afin de mieux écouter les organisations des sociétés civiles qui travaillent dans des environnements répressifs, vous engagerez-vous à les rencontrer à l’occasion de chaque visite officielle que vous ferez dans des pays à régime autoritaire ?

Le régime de Bachar el-Assad a failli à l’obligation de protéger sa population conformément au droit international et a perdu toute légitimité: il doit abandonner immédiatement le pouvoir afin qu’une transition démocratique pacifique puisse s’opérer en Syrie.

Pour cela, la communauté internationale doit continuer à utiliser sa force diplomatique afin que la Russie et la Chine cessent d’exercer leur droit de veto contre une résolution du Conseil de Sécurité. Je condamne ces prises de position totalement irresponsables qui encouragent les forces du régime à Assad à intensifier la répression sur le terrain. La communauté internationale doit envisager des sanctions diplomatiques à l’égard de ces pays notamment afin de contraindre la Russie, principal fournisseur d’armements, d’équipements militaires et d’aéronefs au gouvernement syrien, à arrêter immédiatement ses livraisons.

Les condamnations politiques ne doivent pas rester sans suite judiciaire: les responsables de ces atrocités doivent en effet répondre de leurs actes devant la communauté internationale, ce qui requiert une enquête indépendante et impartiale ainsi que l’élaboration de mécanismes clairs en matière de responsabilité.

Enfin je voudrais rappeler toute mon admiration pour le courage et la détermination du peuple syrien. L’UE et ses Etats doivent aider les efforts déployés par l’opposition syrienne pour s’unir à l’extérieur et à l’intérieur du pays afin de définir une vision commune de l’avenir de la Syrie et du passage à un régime démocratique. Cela exige la reconnaissance du Conseil National Syrien mais aussi un appui politique et matériel.

Cette transition devra se fonder sur un dialogue inclusif associant l’ensemble des forces démocratiques et des composantes de la société syrienne, notamment ses minorités. C’est d’ailleurs en ce sens que l’UE et ses Etats membres doivent développer leur dialogue avec les pays tiers.

Qu’ils soient en transition démocratique ou soumis à des régimes autoritaires, le dialogue avec ces pays doit passer par un partenariat avec les sociétés civiles. Pour cela, il est nécessaire d’élaborer et de mettre en œuvre un mécanisme de consultation afin d’assurer aux acteurs de la société civile leur participation au processus de bonne gouvernance. Je veillerai donc à m’entretenir dans le cadre de ce partenariat avec les organisations de la société civile à l’occasion de chaque visite officielle dans un pays à régime autoritaires. La France doit également perpétuer sa tradition d’asile en accueillant les opposants dont la vie serait menacée dans leur pays d’origine. A cet égard, des outils très pertinents comme les visas humanitaires ou encore le réseau des villes-refuges doivent être développés.

 

5- Afghanistan

Quelle stratégie mettrez-vous en place afin de promouvoir une évolution de l’Afghanistan vers un État de droit et le respect des droits des femmes ?

Invitée du dernier colloque annuel de l’IRIS, consacré au conflit afghan, j’ai réaffirmé la nécessité d’opérer un retrait immédiat des troupes françaises d’Afghanistan. Mais pas n’importe comment, il faut le faire en misant sur le développement, sur une meilleure gestion des fonds internationaux, et en s’assurant de la stabilité de toute la région. J’appelle ainsi à ce qu’une grande conférence avec tous les acteurs de la région soit organisée, pour aboutir à des accords de négociation.

Pour le moment, le conflit est un échec pour les forces occidentales : il coûte excessivement cher en termes humains et financiers , et n’a jusqu’à présent pas empêché les Talibans, certes chassés de Kaboul, de revenir chaque printemps de leur repli au Pakistan. Le budget annuel de l’Afghanistan est quant à lui financé à 80% par la communauté internationale, alors que la majeure partie de son économie réside dans le commerce illicite des drogues. Pourtant l’Afghanistan a des ressources propres : il faut lui permettre de garder une plus grande part de ses ressources. Une partie de l’aide française et occidentale doit ainsi être concentrée sur l’aide à la négociation sur les ressources.

La situation des femmes afghanes est de son côté extrêmement préoccupante : leur espérance de vie est catastrophique, 57% des femmes sont mariées avant 16 ans, et elles ne sont pas à l’abri de la résurgence des pratiques scandaleuses perpétrées par les Talibans lorsqu’ils étaient au pouvoir. La grande conférence internationale que j’appelle de mes voeux devra inclure la question cruciale du droit des femmes. Il est nécessaire que la communauté internationale s’engage fortement pour défendre leurs droits face au risque d’un retour des Talibans. L’argent du développement de l’Union européenne sera donc très important dans les années à venir sur cette question.

 

6- Lutte contre l’impunité – les cas de la Côte d’Ivoire, de la Guinée, de la République Démocratique du Congo

Demanderez-vous aux autorités ivoiriennes, guinéennes et congolaises (RDC) de poursuivre de manière impartiale les individus qui, au cours des régimes antérieurs et actuels, ont été impliqués dans des crimes graves (crimes contre l’humanité, crimes de guerre) ?

Bien entendu : je me bats depuis des années pour l’exercice du droit et de la justice internationale, et pour que les responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité puissent partout être déférés devant des tribunaux impartiaux.

Je me félicite ainsi que la Cour Pénale Internationale vienne de rendre son verdict en reconnaissant Thomas Lubanga coupable de crimes de guerre. Ce n’est bien sûr pas encore suffisant, mais cet événement représente un progrès à saluer de la justice internationale face aux nombreux potentats pour lesquels la justice devra exercer ses droits.

 

7- Chine

Demanderez-vous publiquement et personnellement la libération immédiate de Liu Xiaobo, Prix Nobel de la Paix 2010, ainsi que celles des autres signataires de la Charte 08 ?

Oui, je le redemanderai avec force et conviction. Il est à cet égard particulièrement scandaleux que Nicolas Sarkozy ait reçu plusieurs fois en grandes pompes le Président Chinois, notamment à l’occasion des Jeux Olympiques de Pékin, sans avoir jamais clairement affirmé à son homologue qu’il tenait particulièrement aux droits humains en Chine et partout dans le monde.

Les écologistes se battent partout sur la planète pour la reconnaissance des droits inaliénables de chaque individu. La raison d’Etat ne peut venir justifier l’injustifiable, et là encore, le chantre de la « République irréprochable » nous a incroyablement déçus dans ses relations avec la Chine. La vocation de la France est de prioriser les droits humains sur les droits de l’homme d’affaires.

 

8- Russie

Demanderez-vous publiquement et personnellement aux autorités russes de respecter les droits humains, en particulier dans les Républiques du Caucase du Nord, dans le cadre de la préparation des Jeux Olympiques de Sotchi ?

J’ai déjà demandé publiquement et personnellement aux dirigeants russes de respecter les droits humains, et ce quelques avant les élections présidentielles qui ont malheureusement vu Vladimir Poutine revenir à la tête du pouvoir (qu’il n’avait d’ailleurs jamais vraiment quittée). Je suis d’ailleurs la seule candidate à avoir reçu officiellement trois opposants parmi les plus emblématiques à l’actuel pouvoir russe, en pleine dérive autocratique. Monsieur Poutine doit respecter les droits humains dans les Républiques du Caucase du Nord comme dans l’ensemble du territoire de la Fédération de Russie, Jeux Olympiques ou non !

Là encore, notre président et nos dirigeants européens se sont montrés particulièrement pleutres vis-à-vis des dérives du pouvoir russe, au prétexte d’une dépendance énergétique nous rendant au final particulièrement impuissants. Si nous sommes amis avec la Russie, il est de notre devoir de lui dire la vérité. Et la vérité est que les droits humains sont aujourd’hui gravement menacés en Russie.

 

9- Etats-Unis / Lutte contre l’impunité pour les crimes graves

Défendrez-vous l’importance de la lutte contre l’impunité pour les crimes les plus graves, quelle que soit la nationalité des individus ayant commis ces crimes, comme par exemple, dans le cadre des procédures judiciaires lancées par la France au titre de la compétence universelle par rapport aux détenus du camp de Guantanamo ?

Je soutiens la démarche de la juge Sophie Clément qui a demandé à se rendre à Guantanamo afin d’enquêter sur les tortures et autre traitements dégradants subis par trois de nos ressortissants, anciens détenus sur la base américaine. Cette demande inédite de coopération judicaire s’inscrit parfaitement selon moi dans l’esprit de la compétence universelle qui veut que les crimes internationaux comme la torture ne restent pas impunis quel que soit le statut et la nationalité des auteurs de ces crimes.

Je n’accepte pas d’exception à cette règle, notamment quand il s’agit des abus commis sous l’administration Bush dans la ‘guerre contre la terreur’ engagée après le 11 septembre 2001. Il est intolérable que les pays européens acceptent l’immunité de fait dont bénéficient les forces armées et les services secrets américains.

Je ne tolère pas d’avantage que les Etats européens, complices et parfois auteurs de ces crimes, échappent eux aussi à leur responsabilité. Le rôle de la France dans les transferts vers Guantanamo, dans les interrogatoires de personnes détenus à Guantanamo ou ailleurs par la CIA, ainsi que l’utilisation par la France d’informations obtenues sous la torture, doit être clarifié. Je considère qu’il est du devoir de la France de montrer l’exemple et de soutenir un processus de vérité et de justice en Europe.

 

10- Orientation sexuelle et identité de genre

Dénoncerez-vous publiquement les lois et politiques de pays qui continuent de pénaliser l’homosexualité, en particulier ceux qui appliquent encore la peine de mort pour sanctionner l’homosexualité ?

Bien entendu, l’orientation sexuelle ne doit en aucun être un motif de discrimination. J’ouvrirai ainsi le droit d’asile aux personnes dont le genre ou l’orientation sexuelle les exposent à des violences légales ou à des violences couvertes par l’Etat. Je dénoncerai donc les lois et politiques de pays qui continuent de pénaliser l’homosexualité.