Intervention de la sénatrice A. Boumediene sur la « directive de la honte »
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Monsieur le Président, Monsieur le ministre, mes chers collègues,

Alors que la France s’apprête à présider l’UE, un vaste chantier, je souhaite vous interpeler sur un point : cette directive, validée le 5 juin par les 27 ministres de l’Intérieur de l’UE, qui doit être discutée demain, le 18 juin, au Parlement européen.

Ce texte, dit « directive retour », vise à instaurer des règles communes en matière de traitement des étrangers, en situation irrégulière, quelque soit leur situation spécifique, leur temps de séjour, leur situation de travail, leurs liens familiaux, leur volonté et le succès de leur intégration…

Si cette directive permet de garantir des droits à des personnes qui en étaient dépourvues, dans certains Etats de l’UE, permettez-moi, au contraire, de considérer ce texte comme un durcissement supplémentaire des conditions de détention et d’expulsion des migrants sans papiers.

Non seulement, ils seront tous « éloigner », selon les termes si politiquement corrects de ce texte, sans conscience de toute la violence que génère une expulsion. De plus, on prévoit la possibilité de les enfermer pour une durée pouvant atteindre 18 mois, avant de les expulser vers leur pays d’origine.

En outre, ce texte met en place une systématisation de l’interdiction du territoire de l’UE pendant 5 ans pour les personnes expulsées. Cela revient à les exclure et à les criminaliser, en créant dans le champ juridique européen une procédure de bannissement.

Cette « directive retour » prévoit également la détention et l’éloignement des personnes vulnérables (femmes enceintes, personnes âgées, victimes de torture, etc.) et des mineurs, qu’ils soient ou non accompagnés, au mépris du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Ces étrangers en situation irrégulière se verront renvoyer vers les pays par lesquels ils n’ont fait que transiter, sans qu’ils n’aient de lien réel avec ces pays.

Plus grave encore, le texte permet la détention et l’expulsion forcée des mineurs isolés vers un pays tiers, où ils n’ont ni famille, ni tuteur légal.

Enfin, le texte prévoit la suppression de l’obligation pour les Etats de fournir l’aide juridictionnelle gratuite, obligatoire au nom du droit de la défense.

Ainsi les dispositions de cette directive « retour » placent les étrangers en situation irrégulière, sous un régime d’exception !

Il m’apparaît donc utile de noter que cette directive viole un certain nombre de droits et principes de grandes conventions internationales dont la France est signataire, notamment le droit pour tous de chercher asile et protection.

On nous dit que ce texte est le fruit d’un compromis, qui fut long à obtenir, entre les 27 Etats membres de l’UE, offrant ainsi de nouvelles garanties et des droits à des personnes, qui étaient l’objet de normes arbitraires, dans certains états.

Mais est-ce une raison suffisante, pour accepter de généraliser des procédures d’enfermement, de bannissement et d’expulsion des personnes sans papiers dans toute l’UE ?

Nous craignons que cette directive devienne la norme européenne sur laquelle vont être tentés de s’aligner tous les pays de l’UE…

Tous, nous savons que l’exil ne se fait jamais de bon cœur.

Pour survivre et faire vivre leur famille, ces hommes et ces femmes ont souvent été obligés de quitter leur pays et leur famille pour fuir la misère, les déficits économiques qui vont souvent de pair avec les déficits démocratiques, ….

En Europe, nous sommes conscients que les migrants contribuent à la prospérité et la richesse de nos pays.

Ils occupent des emplois dans le bâtiment, dans les services aux personnes, dans les hôpitaux, dans les restaurants, …, à des places, que ne peuvent pas ou ne veulent pas occuper nos concitoyens. Ils paient des impôts et participent au financement des retraites et des caisses sociales, dont ils ne bénéficient que très rarement en raison de leur séjour irrégulier.

Ils contribuent également au dynamisme démographique de notre société qui connaît un vieillissement certain.

Ils aident à maintenir la relation entre actifs et inactifs, garante de la cohésion sociale et du dynamisme du marché interne européen par leur consommation.

Soyons honnêtes et reconnaissons que les migrants sont une chance pour l’avenir de l’UE, face aux défis démographique et financier. Toutes les études nous le confirment aujourd’hui.

Or, depuis plusieurs années, l’UE adopte des politiques toujours plus fermes et plus répressives en matière d’immigration et d’asile. Pourquoi ?

Pour créer des peurs et trouver des boucs émissaires à notre incapacité à répondre aux problèmes de notre société !?!

Ce projet de directive préfigure l’installation d’un modèle européen, criminalisant les étrangers sans-papiers et les demandeurs d’asile et organisant leur enfermement généralisé, qui risque d’engendrer de nouveaux malheurs dont l’Europe portera la responsabilité.

Tout ceci, à l’opposé de l’image que l’UE tente d’exporter à l’étranger : un continent phare éclairant le monde de ses droits et libertés fondamentales et accueillant les victimes.

Il en va donc non seulement de la vie de milliers de migrants, qui se trouvent humiliés et criminalisés, parfois persécutés à leur retour au pays, mais il en va également de l’image de l’Union européenne à travers le monde.

Alors que l’UE incarne un certain idéal, il est fortement regrettable que l’on se contente, sur notre politique de l’immigration et d’asile, d’un volet répressif et rétrograde, en complète contradiction avec nos principes fondateurs.

Pour finir, je tiens à citer notre Président Sarkozy qui déclarait lors de sa campagne électorale, le 18 mars 2007 à Paris :

« Je veux être le Président d’une France qui se sente solidaire de tous les proscrits, de tous les enfants qui souffrent, de toutes les femmes martyrisées, de tous ceux qui sont menacés de mort par les dictatures et par les fanatismes… Je ne passerai jamais sous silence les atteintes aux droits de l’homme au nom de nos intérêts économiques. Je défendrai les droits de l’homme partout où ils sont méconnus ou menacés… ».

Je prends donc acte des mots de Mr le Président, en espérant qu’il s’en souviendra et donc s’opposera avec force et vigueur à cette « directive retour », surnommée à juste titre « directive de la honte ».

Permettez-moi, Chers collègues, de vous rappeler que les Droits Fondamentaux sont universels, et qu’ils ne peuvent donc pas s’arrêter aux frontières de l’Europe, ni ne s’appliquer qu’aux seuls citoyens européens !

Je vous remercie.