Les magistrats dénoncent la « démagogie » de Nicolas Sarkozy.
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C’est une onde de choc : les propos de Nicolas Sarkozy, appelant à faire « payer » un juge après la participation présumée de Patrick Gateau, un récidiviste placé en libération conditionnelle, à l’assassinat de Nelly Crémel, ont provoqué une réaction d’une ampleur exceptionnelle dans la magistrature. Vendredi 1er juillet, plus de 200 magistrats du tribunal de grande instance de Paris, accompagnés de collègues des tribunaux périphériques, se sont rassemblés sur les marches du palais de justice, à l’appel de leurs organisations représentatives.

L’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), suivie par le Syndicat de la magistrature (SM, gauche) et leurs homologues des juridictions administratives, mais aussi l’Association nationale des juges de l’application des peines, placés en première ligne, ont dénoncé la « démagogie » du ministre de l’intérieur. « Quand -celui-ci- exploite la douleur d’une famille pour mettre les juges au pas, la démocratie n’y gagne pas« , ont-ils écrit dans une tribune-pétition soumise à la signature des 8 000 magistrats en poste.

SEMAINE AGITÉE

L’initiative est venue clore une semaine agitée. Dans de nombreuses juridictions, des motions de protestation ont été adoptées en assemblée générale. Le premier président de la Cour de cassation, Guy Canivet, a pris la parole pour souligner les dangers qu’il y avait à faire du juge un « bouc émissaire« .

Les premiers présidents des cours d’appel ont aussi rédigé un texte. Bien qu’ils « partagent la douleur des proches de la victime et comprennent l’émotion qui a fait réagir publiquement le ministre de l’intérieur« , ils ont dénoncé une « pression inadmissible sur les juges qui apprécient des situations difficiles« . Ils ont rappelé « que mettre en jeu leur responsabilité du fait de leurs décisions placerait la France en rupture avec ses engagements internationaux et les standards démocratiques« .

A Perpignan, la motion adoptée a même souligné que « le discrédit jeté sur une décision juridictionnelle (…) constitue un délit« .

« Choqués » et « inquiets » , juges du siège et magistrats du parquet estiment que Nicolas Sarkozy a franchi une ligne jaune. « On n’a jamais vu de telles attaques frontales de la part de quelqu’un qui est susceptible de devenir le chef de l’Etat » , a remarqué Jean-Pierre Dintilhac, ancien procureur de la République de Paris, sur les marches du palais. « Si le ministre de l’intérieur veut la guerre, il l’aura, a ajouté un autre magistrat. Des collègues sont prêts à annuler des procédures : nous n’avons pas que des dossiers bien ficelés par la police. »

Le milieu judiciaire défend avec vigueur la libération conditionnelle, mesure-phare de l’aménagement des peines et de la lutte contre la récidive. Ces jours derniers, les magistrats les plus exaspérés évoquaient l’idée de bloquer les décisions de libération conditionnelle, ce qui aurait pour effet de placer le gouvernement devant ses responsabilités. Les juges d’application des peines, pour leur part, ont une nouvelle fois dénoncé le manque de moyens alloués au suivi des condamnés.

Dans plusieurs motions adoptées à l’initiative de l’USM, les magistrats ont rappelé qu’en 2004, lors de l’inauguration d’une nouvelle prison à Toulon, le garde des sceaux Dominique Perben s’exprimait en ces termes : « Il n’y aura pas de sécurité durable tant que nous n’offrirons pas aux détenus les moyens de reprendre, le moment venu, leur place dans la société. Dans leur immense majorité, ils ont vocation à le faire comme les êtres humains à part entière qu’ils n’ont jamais cessé d’être. »

A la cour d’appel de Nancy, les juges ont aussi souligné que « la pratique, désormais annuelle, des décrets de grâce collective du 14 juillet a pour résultat que 12 % des peines restent totalement inexécutées et aboutit à des sorties de détention non préparées, générant un risque énorme de récidive » . Faut-il pour autant, se sont interrogés les magistrats de Basse-Terre dans leur motion, « condamner le président de la République » ?

Nathalie Guibert


P.S. :

Article paru dans l’édition du 03.07.05