Les poursuites en diffamation non publique
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La liberté d’expression est une liberté fondamentale. Elle est rappelée notamment à l’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme : voir en matière politique, pour une violation par la France du droit à la liberté d’expression l’arrêt de la Cour Européenne en date du 11 avril 2006 en fichier PDF ci-contre à propos de l’affaire des faux électeurs de la Ville de Paris et de la condamnation par les juridictions françaises de l’un des manifestants auteur d’un tract déclencheur d’alerte à la somme de 1 francs à titre de dommages et intérêts.

Elle est pratiquement illimitée dans les démocraties, sous réserve de ce qui concerne la protection de certains intérêts d’autrui expressément et limitativement prévus par la loi : protection de la vie privée, protection contre les injures et les diffamations, ces notions étant cependant strictement définies [sur les injures, voir notre [fiche pratique No 35; sur la procédure de conciliation en matière civile, voir la fiche pratique No 14 ; sur le droit de réponse en presse écrite, voir la fiche pratique No 73 sur les règles spécifiques en matière d’internet, voir la fiche pratique No 96 ]] .

La diffamation est définie par l’article 29 alinéa 1 de la loi du 28 juillet 1881 sur la presse comme « l’imputation ou l’allégation de faits portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne », et elle se distingue donc clairement de l’injure, en ce que l’injure est définie à l’alinéa 2 du même texte comme « toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait »[ « (..)Pour constituer une diffamation, l’allégation ou l’imputation qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d’une articulation précise des faits de nature à être sans difficulté l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire » [Cass. crim. 29 janvier 1998 ;« (..) s’il est vrai que prise isolément l’expression de « fieffé menteur » pourrait constituer une injure, il en est autrement lorsqu’elle est indissociable d’un ensemble d’allégations qu’elle introduit et dont il résulte qu’elle comporte l’allégation d’un fait déterminé(..) » : cass. crim. 2 juin 1980 79-90178 ; sur l’injure non publique, voir notre fiche pratique No 35 ]].

De la lecture de l’article 29 de la loi du 28 juillet 1881 sur la presse définissant tant l’injure ne comportant aucun fait que la diffamation comportant des faits matériellement inexacts, il ressort, en creux, qu’à mi-distance entre ces deux notions opposées, les « expressions outrageantes », « termes de mépris » ou « invectives » ne sont, quant à elles, pas punissables par ce texte lorsqu’elles comportent l’imputation de faits établis, ou du moins, incontestés [Longtemps, les abus de la liberté d’expression ont pu faire cependant l’objet devant les juridictions civiles d’actions en dommages et intérêts fondées sur la responsabilité civile et sur le notion de « faute » ou « d’abus de droit ». La Cour de Cassation a mis fin à ces jurisprudences, rétablissant ainsi la force de la liberté d’expression. Il peut cependant exister des dispositions spéciales limitant les libertés d’expression dans certains domaines particuliers et spécifiques ]].

Spécialement dans le domaine politique, le « débat d’idées » ne comportant pas l’imputation de faits matériels portant atteinte à l’honneur ne relève pas de la diffamation : voir [Cassation criminelle, 12 juillet 2006
et la brève de citron vert[ La Cour de Cassation précise dans cet arrêt ce qui distingue le débat d’idée de la diffamation : « les propos poursuivis, isolés au sein d’un article critiquant la politique menée par le gouvernement d’Israël à l’égard des palestiniens, n’imputent aucun fait précis de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération de la communauté juive dans son ensemble en raison de son appartenance à une nation ou à une religion, mais sont l’expression d’une opinion qui relève du seul débat d’idées, la cour d’appel a violé les textes susvisés » ]] .

Par [arrêt en date du 7 novembre 2006, Noel MAMERE / FRANCE la France est condamnée à juste titre par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour ses atteintes à la liberté d’expression en raison notamment de l’interdiction qui est faite par la loi française à la personne poursuivie pour diffamation d’apporter la preuve de faits portant à l’honneur lorsqu’ils sont pénalement prescrits [ soit 10 ans pour les crimes et 3 ans pour les délits ; sur la bonne foi, la Cour Européenne retient qu’« Il ressort en effet de la jurisprudence que, si tout individu qui s’engage dans un débat public d’intérêt général – tel le requérant en l’espèce – est tenu de ne pas dépasser certaines limites quant – notamment – au respect de la réputation et des droits d’autrui, il lui est permis de recourir à une certaine dose d’exagération, voire de provocation (voir, par exemple, l’arrêt Steel et Morris précité, § 90), c’est-à-dire d’être quelque peu immodéré dans ses propos.

Selon la Cour, en l’espèce, les propos en cause, certes sarcastiques, restent dans les limites de l’exagération ou de la provocation admissibles. Elle n’y voit pas de termes manifestement outrageants « 
voir aussi la [brève de citron vert
]].

Est considéré comme non-public, un propos proféré dans le cadre d’un groupe de personnes liées par une communauté d’intérêts [« la diffusion d’un écrit n’est une distribution publique au sens du texte susvisé, que si les destinataires de cet écrit sont étrangers à un groupement de personnes liées par une communauté d’intérêts ; un parti politique constitue un groupement de cette nature » : [Cass. crim. 27 mai 1999, No 98-82461 . La diffamation publique constitue quant à elle, une infraction correctionnelle prévue aux article 29 et suivants de la Loi sur la presse ]].

La diffamation constitue, en application de l’article R 621-1 du code pénal, une contravention de 1ère classe lorsqu’elle est non-publique, passible donc à ce titre d’une amende à 38 €uros[ voir [article L131-13 du même code ]].

Le juge des référés du Tribunal de Grande Instance peut dans certains cas être saisi d’une demande tendant à faire cesser le trouble subi du fait d’une diffamation
[pour des affiches publicitaires comportant une « représentation outrageante d’un thème sacré » [C.A. Paris, 8 avril 2005 G…; sur le droit de réponse en matière de presse, voir la fiche pratique No 73 ]] .

Pour solliciter une indemnité financière en réparation de son préjudice né du fait d’une diffamation non publique, la victime des propos diffamatoires peut au choix [ pour solliciter l’Aide Juridictionnelle, les renseignements et le formulaire à remplir sont accessibles sur le serveur du [Service Public.fr ]]
:

Dans cette dernière hypothèse, la demande se présente sous forme d’une assignation délivrée par un huissier de justice (voir annexe 3).

Cette assignation expose sommairement les faits, énonce entre guillemets très exactement les propos diffamatoires précisément incriminés, comporte élection de domicile dans la ville où siège le Tribunal, et convoque l’auteur des propos diffamatoires pour être condamné au paiement d’une indemnité dont est précisé exactement le montant en €uros.

A compter de la délivrance de l’assignation, le défendeur dispose d’un délai de 10 jours pour dénoncer par acte d’huissier, au demandeur la liste des témoins, et les éléments de preuve dont il dispose pour établir la vérité des faits allégués : article 55 de la loi du 28 juillet 1881 sur la presse [d’où l’intérêt pour un militant, un élu, de réunir par avance les éléments de preuve utiles à prouver la vérité des affirmations qu’il entend faire, publiquement ou non lorsqu’elles peuvent porter atteinte à la considération d’un adversaire politique]].

Lors de l’audience, les parties exposeront leur arguments, non sans avoir préalablement échangé dans les jours précédents l’audience, les preuves et documents qu’elles remettront au juge [2]. Sous réserves des formalités ci-dessus évoquées, la procédure est très largement « orale », ce qui emporte que l’échange des documents, conclusions, argumentaires, mémoires par écrit est tout à fait indispensable mais ne dispense pas de devoir exposer ses arguments et ses demandes verbalement à l’audience devant le Juge, à qui ces documents sont remis au plus tard, le jour de l’audience. Naturellement, avant que de saisir le Juge de la demande en réparation, il semble absolument impératif d’avoir réuni les preuves suffisantes des propos diffamatoires notamment par témoins (voir annexe 1) lorsqu’il n’y a pas d’écrits probants.


Guy Pécheu
(gpecheu@online.fr)






ANNEXE 1 : FORMULE D’ATTESTATION DE TEMOIN MANUSCRITE

« Je soussigné (nom, prénom, date et lieu de naissance, profession)
lien de parenté ou de travail avec les personnes (oui, non, si oui préciser lequel ?)
Déclare avoir été le témoin direct des faits suivants (…)et avoir (entendu, lu, etc ) la phrase suivante « (….) ».

J’autorise que la présente attestation puisse être communiquée en justice, étant informé qu’une fausse attestation expose son auteur à des sanctions pénales. J’annexe à la présente une copie de ma pièce d’identité.

Date et signature
. »

ANNEXE 2

ANNEXE 3

ANNEXE 4

Notes

[1] Toutefois, en application de [l’article 46 de la loi sur la presse , la procédure pénale est seule admissible lorsque les propos incriminés ont été tenus contre un élu dans ses fonctions ou en cette qualité. Il existe par ailleurs des exceptions si la personne incriminée dans la diffamation est elle-même un élu, ou un fonctionnaire ayant agi dans le cadre de leurs fonctions, auquel cas, l’action doit être engagée devant la juridiction administrative : Tribunal des Conflits, 12 février 2001, commune d’Argiusta-Moriccio. Par ailleurs, en application de l’article R 321-8 du code de l’organisation judiciaire le Tribunal d’Instance n’est pas compétent dans le cas de diffamation publique prononcées « par voie de presse« , auquel cas, c’est le Tribunal de Grande Instance qui sera compétent

[2] Toutefois, si la diffamation a été commise par « voie de presse », la procédure civile se déroule en application de l’article [R 321-8 du Code de l’Organisation Judiciaire devant le Tribunal de Grande Instance ; la représentation par avocat y est obligatoire, et la décision est également susceptible d’appel