Lettre ouverte au Garde des Sceaux, Ministre de la Justice.
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Invitée à intervenir lors du regroupement des promotions 2006 et 2007 des auditeurs de justice de l’Ecole Nationale de la Magistrature, vous n’êtes finalement pas venue. Nous le regrettons car, en tant que futurs magistrats, nous avions de nombreuses interrogations et inquiétudes à vous soumettre concernant les enjeux contemporains de la justice.
Nous aurions souhaité engager avec vous un dialogue, sans esprit partisan ni corporatiste.

A l’heure de la mise en oeuvre de la réforme de la formation des magistrats, voulue par le législateur à la suite de l’affaire dite d’Outreau, était-il réellement opportun de supprimer un certain nombre de stages visant à promouvoir l’ouverture d’esprit des élèves magistrats (stage pénitentiaire, stage huissier, stage en entreprise, en milieu associatif, administratif ou à l’international…), et de les limiter à un unique stage avocat de six mois ?

N’est-il pas dangereux d’adopter une démarche de réaction aux faits divers et de s’appuyer sur l’opinion populaire, trop souvent sujette à l’émotion de l’actualité, afin de relancer certains débats ?

Ainsi, placer la victime au centre du système pénal peut sembler séduisant, mais cela ne revient-il pas à écarter l’objectif assigné à la chaîne pénale : réintégrer le délinquant dans la société, après qu’il a assisté à la reconstitution de sa faute lors des débats, purgé sa sanction et réparé le dommage.

Quelle utilité dès lors de juger un fou ?
Quel rôle assigner à un « juge délégué aux victimes » ?

Par ailleurs, comment concilier la restauration de peines planchers pour les récidivistes avec la demande, aujourd’hui faite aux juges et aux parquets, de privilégier les alternatives à l’incarcération et l’aménagement des peines fermes ? Les services d’exécution des peines s’épuisent déjà à traiter les peines prononcées ; comment, dès lors, envisager matériellement une aggravation des condamnations ?

Un système qui prononce encore plus de peines, toujours plus sévères, sans les mettre à exécution ne se décrédibilise-t-il pas totalement ? Quant à ceux qui exécutent effectivement leur peine, les conditions de détention participent-elles à prévenir la réitération des infractions ?

Enfin, les réponses offertes aux mineurs sont-elles efficaces lorsque le démarrage d’une mesure de suivi ou d’assistance éducative nécessite une attente de 6 à 8 mois dans certains départements ?

Dans le domaine du droit des affaires, que dire de la dépénalisation envisagée, lorsque les infractions portant atteinte à l’ordre public économique menacent directement la compétitivité des entreprises et l’emploi, à l’équilibre si fragile ?

En présentant la multiplicité des sanctions pénales, commerciales et administratives comme nuisibles, n’y a-t-il pas une certaine confusion dans la perception des intérêts protégés ?

En vous invitant, Madame le Ministre, nous souhaitions également vous dire que nous partageons votre ambition d’améliorer les moyens de la justice, et de promouvoir l’égalité des chances, comme l’illustre la création d’une classe préparatoire au concours d’entrée à l’ENM, destinée aux milieux sociaux défavorisés, solution adaptée pour diversifier la composition de la magistrature, et ô combien plus conforme aux principes de notre République qu’une politique de discrimination, aussi positive soit-elle.

Nous conservons l’espoir, Madame le Ministre, de débattre avec vous.
Texte adopté par les assemblées générales des auditeurs de justice des promotions Bernard BORREL (2006) et Eva JOLY (2007) tenues les 02 et 04 octobre 2007, à la majorité des voix exprimées.