Motion proposée au Conseil fédéral sur la loi renseignement
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« Loi Renseignement : un blanc seing liberticide »

« L’écologie sociale reconnaît, qu’on le veuille ou non, que l’avenir de la vie sur cette planète dépend de l’avenir de la société. »
Murray Bookchin, Qu’est-ce que l’écologie sociale ?, 1993

« Internet doit rester le territoire absolu de la liberté »
Abraham Lincoln, Mémoires, 1912

 

L’une des missions fondamentales de lʼÉtat est d’assurer la sécurité des citoyens. Une autre est d’être le garant du respect des libertés publiques et des droits fondamentaux. Parmi ces libertés figure le droit à la protection de la vie privée, entre autres garanti par la Convention européenne des droits de l’Homme (article 8) , le Pacte International des droits civils et politiques (article 17) et la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne (article 7).

Nul-e ne peut nier le sentiment de peur et d’angoisse que les actes de terrorisme génèrent dans notre société et face à la peur, c’est la tâche du politique de répondre aux inquiétudes des citoyen-nes. Néanmoins, un équilibre doit être trouvé entre l’objectif de lutte et de prévention du terrorisme, et le respect des libertés individuelles. Cet équilibre repose sur la proportionnalité et la nécessité des mesures invoquée au regard de l’atteinte potentielle aux libertés des citoyen-nes. Cet équilibre repose également sur le contrôle de celles et ceux qui sont chargés de surveiller. Plus de sécurité ne doit pas rimer avec moins de libertés.

En 2012, suite aux crimes perpétrés par Mohamed Merah, l’UMP avait proposé une loi relative au terrorisme qui avait suscité un légitime tollé, car elle confondait protection de la population et surveillance intrusive et sécuritaire. Le groupe écologiste avait alors obtenu la création d’une commission d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements des services de renseignements, présidée par Christophe Cavard, député écologiste. Le groupe Ecolo rappelait alors, par la voix de son co-Président, la volonté des écologistes de ne pas légiférer dans l’émotion, son refus d’une logique du tout sécuritaire, et la nécessité de protéger la neutralité du réseau Internet.

Pour les écologistes, tant en France qu’en Europe, le respect des libertés fondamentales, y compris dans le contexte numérique, est un principe démocratique qui ne peut être remis en cause. Le Manifeste Commun de l’European Green Party adopté en vue des élections européennes de 2014, rappelait l’opposition fondamentale des écologistes à la surveillance de masse et la nécessité d’assurer la protection de la vie privée, ce qui inclut la protection des données numériques des usagers d’Internet. En septembre 2014, les député-es écolos étaient le seul groupe qui avait choisi de s’abstenir sur la loi anti-terrorisme, et nos sénateurs avaient finalement choisi de voter contre cette loi.

À la suite des tragiques événements de janvier 2015, le Gouvernement a introduit en urgence un projet de loi dit « de renseignement ». Pourtant, ces attentats ne faisaient pas apparaître un échec des méthodes de renseignement, ils posaient la question de l’exploitation et du partage des informations récoltées, des ressources alouées à cette tâche, et de la faillite à  protéger une cible désignée publiquement de longue date. Les auteurs étaient en effet déjà identifiés par des services de renseignement, bien avant qu’ils ne passent à l’acte, mais n’étaient plus suivis ni surveillés. Le nouveau texte de loi a suscité, à juste titre, les vives critiques d’un large panel d’instances officielles (CNDCH, CNN, Commission de réflexion sur le droit et les libertés à lʼâge du numérique de l’Assemblée Nationale), d’organisations humanistes et de syndicats (Ligue des Droits de l’Homme, Syndicat de la Magistrature, USM, Amnesty France, CGT Police, Ordre des Avocats de Paris, etc.) ainsi que de nombreux acteurs d’Internet et de l’économie numérique (W3C, INRIA, Quadrature du Net, Numerama, Gandi, OVH, Online, le Syndicat des Professionnels du Numérique, etc.).

Ce nouveau projet de loi tend à légaliser des pratiques des services de renseignements jusqu’ici utilisées sans aucun encadrement, et sans jamais interroger leur efficacité. Le texte légalise ainsi l’utilisation des IMSI catchers, dispositifs permettant le recueil de tous les échanges sur téléphones portables qui transitent dans un périmètre donné (par exemple sur les lieux d’une manifestation).

Plus grave encore, l’installation de « boîtes noires » chez les hébergeurs et fournisseurs d’accès à Internet, qui ont vocation à intercepter l’ensemble du trafic réseau de façon indifférenciée. Des algorithmes doivent permettre de détecter les comportements d’internautes susceptibles de refléter une activité « terroriste ». Ceci revient, ni plus ni moins, à pister tous-tes les internautes en permanence, dans toutes leurs activités en ligne, dans le but de récolter des « indices » de comportements jugés dangereux. Aucune information technique sur ces dispositifs n’est fournie, au motif du « secret défense », aucune information non plus sur les conditions de traitement et dʼexploitation de ces données. Aucune justification du coût de ces nouveaux dispositifs n’est présentée par le Gouvernement dans son étude d’impact. Et aucun recours nʼest prévu si un-e citoyen-ne se retrouve ainsi suivi-e. Cette activité de surveillance complète des internautes se fera donc sans aucune transparence, à la discrétion du pouvoir en place.

La Commission chargée de contrôler l’activité des services n’aura qu’un simple rôle consultatif. En procédure d’urgence, elle ne pourra même pas rendre d’avis préalables. De plus, la conservation des données interceptées a été considérablement allongée.

Le domaine d’intervention des services de renseignement sera aussi étendu bien au-delà de la lutte contre le terrorisme, notamment dans le cadre des « atteintes à la forme républicaine des institutions », des « violences collectives portant atteinte à la sécurité nationale » ou des « infractions commises en bande organisée ». Le texte introduit l’idée que les mouvements sociaux contestataires, y compris ceux se réclamant de la contestation écologique, rentrent désormais dans le champ d’utilisation des techniques de surveillance et d’écoute généralisée. Les possibilités de surveillance por des motifs d’intelligence économique ou des intérêts de la politique étrangère ont été renforcés : surveillera-t-on demain des association qui luttent contre Areva ou la Françafrique ?

L’article L.811-1 du livre VIII du code de la sécurité intérieure dispose pourtant : « Le respect de la vie privée, dans toutes ses composantes, notamment le secret des correspondances, la protection des données personnelles et l’inviolabilité du domicile, est garanti par la loi. L’autorité publique ne peut y porter atteinte que dans les seuls cas de nécessité d’intérêt public prévus par la loi, dans les limites fixées par celle-ci et dans le respect du principe de proportionnalité. »Sur proposition du député EE-LV Christophe Cavard, le texte de loi, déjà très critiqué en l’état, a étendu les techniques de surveillance électronique aux services pénitentiaires (vote à l’Assemblée Nationale ce 15 avril 2015), et cela contre l’avis même de Christiane Taubira, qui y voyait une « modification substantielle du métier de surveillant » et de la majorité de nos député-es.

Ce nouveau blanc seing accordé au pouvoir exécutif touche aux valeurs et aux droits fondamentaux de notre République. Un tel projet de loi est incompatible avec le type de société libre, ouverte, généreuse, responsable, adulte et conviviale à laquelle aspire l’écologie politique depuis ses premières luttes dans les années 1970 pour l’émancipation des peuples et un « vivre mieux » écologique. Ce projet est enfin incompatible avec le principe de séparation des pouvoirs garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui affirme que : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »

Motion
Le Conseil Fédéral réuni les 9 et 10 mai 2015, rappelle son attachement aux libertés fondamentales des citoyen-ne-s et notamment au droit à la protection de notre vie privée et au secret de nos correspondances, qui sont au fondement même de l’idéal démocratique. Il s’oppose sans concession à la mise en place technique et législative d’une surveillance de masse de la population, qui plus est, si elle est supervisée directement par le Gouvernement, sans autorisation préalable de la justice et donc au mépris de la séparation des pouvoirs.

Le Conseil Fédéral demande que les parlementaires écologistes attachent la plus haute importance à ces principes au cours de leurs travaux législatifs.
• Le texte ayant été voté en première lecture à l’Assemblée Nationale (vote solennel le 5 mai), le Conseil Fédéral invite ses Sénatrices et Sénateurs à sʼopposer à toutes les dispositions de ce texte susceptibles de menacer les libertés fondamentales. Le Conseil fédéral invite ses Sénateurs et Sénatrices à reprendre les amendements, élaborés en consultation avec les Commissions nationales thématiques (Justice et Partage 2.0 – Libertés Numériques) et défendus par une majorité de député/es mais également à voter contre cette loi en l’absence d’avancées significatives.
• La présentation en urgence de ce texte empêchant une deuxième lecture à l’Assemblée nationale, le Conseil Fédéral invite ses parlementaires à soutenir toute saisine du Conseil constitutionnel concernant cette loi.
Porteurs
Tewfik Bouzenoune, responsable de la commission Justice
Gregory Gutierez, responsable de la commission Partage 2.0 – Libertés numériques