Projet « Dati » de loi pénitentiaire…
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Projet « Dati » de loi pénitentiaire : vœux pieux ou instrument d’une transformation « en profondeur » de la condition pénitentiaire en France ?
Le président Sarkozy et la garde des sceaux ont annoncé une « grande loi pénitentiaire », qui devra être « exigeante » et intégrer les règles pénitentiaires européennes signées en 2006.
Le COR (comité d’orientation restreint) vient de rendre à Mme Dati lundi 22 octobre un document regroupant leurs premières préconisations pour l’élaboration de cette grande loi qui devait être établie pour cet automne…

Ce document laisse dubitatif les observateurs ou les organisations impliquées dans le champ pénal et pénitentiaire, et de l’aveu même du COR, qui constate son « incapacité à procéder à l’élaboration d’un rapport général d’orientation » il s’agit d’un recueil « parcellaire », incomplet et dont le contenu appelle à des approfondissements et réflexions complémentaires…
On comprend aisément que cette loi annoncée pour la rentrée ne se fera donc pas avant 2008.
Gageons que le COR, qui annonce son intention de durer dans le temps, tirera lui-même quelques enseignements de sa méthodologie, et qu’il s’organise différemment au risque de récidiver et de proposer au-delà de ces 50 premières préconisations un second document tout aussi décevant et sans grande portée.
La question reste en suspend : Doit-on attendre après le COR ? Risque t-on de patienter jusqu’à la diffusion des compléments et des premières lignes de cette fameuse loi pour s’engager et proposer ?…

La définition des quatre thématiques qui fixe la réflexion (Missions du service public pénitentiaire / Droits et devoirs des personnes détenues / Aménagements de peines / Régime de détention), les difficultés d’organisation du COR, les auditions au contenu peu repris ou entendu, la faiblesse des propositions actuelles mais aussi de l’argumentaire qui devrait les accompagner ne permet pas la confiance et nous engage à porter nous-même d’ici janvier et avec nos partenaires les propositions pour une grande loi pénitentiaire.

Qu’attendre donc d’une loi pénitentaire ?

Il convient que cette loi soit porteuse de mesures qui s’inscriraient dans du symbolique – en opposition au diabolique – et que les personnes détenues ne composent plus une « société dans la société » mais soit reconnue comme partie intégrante du corps social. Cette loi doit donc, a minima, reconnaitre un statut juridique du détenu et une mise en conformité de ce statut avec les exigences d’un état de droit. Cela impose de reconnaitre que l’enfermement, qui doit être le dernier recours, supprime la liberté d’aller et de venir, mais pas les autres droits fondamentaux… en bref de rendre effectif les principes fondamentaux des règles pénitentiaires européennes 2006 : « Les personnes privées de liberté conservent tous les droits qui ne leur ont pas été retirés selon la loi par la décision les condamnant à une peine d’emprisonnement ou les plaçant en détention provisoire. La vie en prison est alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur de la prison. ».

Mais une réforme des prisons doit également aller de pair avec un « examen approfondi de notre droit pénal, et notamment des questions qui touchent à la détention provisoire, à la longueur des peines mais également aux moyens budgétaires accordés » comme le notait Dominique Voynet en signant le rapport des Etats Généraux de la condition pénitentiaire en janvier 2007.

Car le risque est de ne développer qu’une simple uniformisation des règlements intérieurs des prisons – selon le souhait de la convention UMP Justice – et de s’en tenir à un objectif louable mais insuffisant « d’humanisation des prisons »… et de faire de cette loi qu’un apparat agrémenté d’une lecture parcellaire des règles pénitentiaires européennes 2006, permettant de s’affranchir des mises en lumière récurrentes (depuis le rapport des parlementaires en 2000 en passant par celui du commissaire européen en 2006) au sujet des conditions de détentions mais également d’une réflexion sur le rôle de la prison et garantir ainsi la continuité de la politique pénitentiaire de ce gouvernement pour qui plus d’enfermement prémunie de l’insécurité.
En restant à ce pallier indispensable de réforme des conditions de détention, on serait loin de l’objectif consensuel (et déjà défini par le COS en 2001) de lutte contre la récidive… or cette loi pénitentiaire doit s’inscrire dans cette problématique pour mériter le qualificatif de « grande »… comme annoncé.

Du symbolique :

Dans le symbolique, la rupture se situerait sur ce que R. Dati annonce elle-même dans chaque intervention : « repenser le rôle de la prison »… notamment en recadrant, pour une société moderne, le sens de la peine. Ainsi la notion de « pénitence » disparaitrait au profit de cette loi renommée « Loi sur l’exécution des mesures et sanctions pénales ». La prison pourrait également ne plus figurer exclusivement comme peine de référence à toutes sanctions.

La deuxième rupture d’ordre symbolique en terminerait avec la notion « d’exclusion et de bannissement », la peine de prison étant reconnue et affirmée comme « dernier recours ». Cette sanction privative de liberté se faisant plus rare au profit de peines non privatives de libertés appliquées « au sein de la communauté » selon la définition du Conseil de l’Europe. Cette mise en œuvre et valorisation des « alternatives » et le gage d’une société « conviviale » au sens du vivre ensemble, par delà les difficultés.

La troisième rupture d’ordre symbolique soulignerait de façon efficace que les lieux d’enfermement doivent permettre de « mener une vie responsable et exempte de crime » (RPE 2006 – 102.1) et que « la vie en prison est alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur de la prison » (RPE 2006). Elle permettrait la mise en relation efficace de la personne détenue avec la société et ses structures; elle permettrait à la personne détenue de devenir un « acteur » de son projet de vie, y compris pendant le temps de l’incarcération, parce que reconnue dans ses droits et accompagnée. Cela nécessite la définition des missions du personnel pénitentiaire, leur formation ainsi que l’ouverture plus large de la prison à la société civile et aux organisations ou aux structures de l’Etat et même l’augmentation des permissions de sortie en lien avec ce projet.

Du symbolique, de l’emblématique et du pragmatisme.

Tout ce « symbolique » permettrait de valoriser dans l’exécution de la peine, et aux yeux de chaque membre de la société, tout ce qui est en mesure de retisser le tissu social – « ce par lequel chacun doit se sentir débiteur des bienfaits que la société lui apporte » disait M. Lebranchu – et d’orienter cette loi de façon à tenir comme objectif premier celui de la réintégration, de la sortie. Des temps d’explication et de pédagogie en direction de la société mais aussi des détenus est indispensable, cette tâche serait dévolue à l’administration « pénitentiaire ».

Pour l’heure, on assiste à la création d’une loi qui cherche à devenir – politiquement – emblématique (« Ne doutez pas, pour ce qui me concerne, de ma totale détermination à avancer sur ce sujet et à doter enfin notre pays d’une loi fondatrice, après celles du 22 juin 1987 et du 9 septembre 2002 ». R. Dati) sans englober toute cette portée symbolique de rupture et qui peine à prendre également en compte de façon pragmatique la réalité du terrain et l’ambigüité qui se dessine entre les préconisations annoncées pour lutter contre la récidive et la mise en place de lois sécuritaires prônant l’enfermement systématique.

Participation au débat.

L’attention des Verts portera sur la création et la place réelle des alternatives à l’incarcération et ces peines effectuées au sein de la société, sur l’ouverture à la société de ces lieux d’enfermements et sur les liens avec l’extérieur, sur l’application effective et les recours en cas de manquement au sujet des droits fondamentaux, notamment sur le droit de vote et d’éligibilité ainsi que sur la mise en œuvre de la règle 50 des RPE 2006 (« les détenus doivent être autorisés à discuter de questions relatives à leurs conditions générales de détention et doivent être encouragés à communiquer avec les autorités pénitentiaires à ce sujet.« ) ainsi que sur l’encellulement individuel. Ils rappelleront la nécessité de redéfinir l’échelle des peines ainsi que le cadre des libérations conditionnelles qui devraient devenir la règle. Ils rappelleront qu’ils revendiquent le doublement du budget de la justice dans les cinq ans, car sans moyens la loi resterait effet d’annonce.

Les Verts rappellent que si l’état des prisons et des conditions de vie des détenus interdisent toute véritable politique de réinsertion, leur seule mise en conformité ne peut être le contenu exhaustif d’une grande loi pénitentiaire. Cette loi devait s’accompagner « impliquer la société tout entière » (R. Dati) et « déboucher sur un grand débat national » (OIP Etats Généraux) – tout comme « {la récidive » pour laquelle un rapport de la mission d’information de l’Assemblée Nationale avait proposé de lancer un « vaste débat national »… qui n’a jamais eu lieu} – nous le souhaitons et l’attendons.

Laurent Leriche
co-responsable commission Justice Les Verts.


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