Que nous apprend l’évaluation de la vidéosurveillance à Amiens ?
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Après de longs mois d’attente, l’évaluation de la vidéosurveillance de voie publique fut présentée lors du conseil municipal d’Amiens du 20 septembre.

L’équipe municipale arrivée aux responsabilités en 2008 a « hérité » d’un système vétuste de vidéosurveillance de voie publique doté de 48 caméras. Une autorisation de programme prévoyait d’en étendre le nombre, pour le porter à 100. Conformément aux engagements, la municipalité a souhaité poser le principe d’un moratoire sur l’extension de ce dispositif et a ensuite lancé une évaluation opérationnelle, technique, juridique et financière du système de vidéosurveillance de voie publique de la Ville d’Amiens, afin d’en mesurer l’efficience.

Suite à la communication des conclusions par le cabinet Althing, tous les groupes politiques ont été invités à s’exprimer. Un premier appel d’offres lancé l’été 2009 fut déclaré infructueux. Un deuxième appel d’offres fut relancé en 2010 avec un cahier des charges bien plus précis. L’étude fut conduite en 2011 et coûta 14 700 € H.T.

Non content d’un simple moratoire sur un système opaque et coûteux pour la collectivité, nous avons souhaité engager une évaluation de l’efficience de la vidéosurveillance de voie publique à Amiens. Les crédits de l’extension de la vidéosurveillance (1 500 000€) gelés pour les études et diagnostics de sécurité, ont été mobilisés pour lancer cette évaluation. Concomitamment au moratoire sur l’extension du système de vidéosurveillance de voie publique, nous avons engagé de multiples chantiers :

  • Création d’un service dédié, séparé de la police municipale : le centre de sécurité urbaine
  • Établissement d’un règlement intérieur adapté aux agents du CSU
  • Refonte totale du centre de sécurité urbaine avec modernisation des systèmes (1870000€)
  • Amélioration de l’information au public (autocollants panneaux Decaux)
  • Mise en place de tableaux de bord de suivi et d’indicateurs dans le cadre de l’évaluation des politiques publiques.
  • Convention de partenariat avec la police nationale, notamment concernant le déport temporaire d’images vers le C.I.C. du commissariat.
  • Partenariat opérationnel avec le service Gestion des risques dans le cadre du plan communal de sauvegarde.

>>> Extraits du cahier des charges de l’évaluation :

Réalisation d’une évaluation opérationnelle, technique, juridique et financière de l’actuel système de vidéosurveillance urbaine.
Le titulaire devra analyser l’adéquation de la stratégie de la municipalité sur les questions relevant des politiques de prévention urbaine et des outils actuels en particulier la vidéosurveillance.
L’intervention du titulaire devra aboutir à la présentation de propositions concrètes, directement et immédiatement exploitables par la Ville, qui ne devra exclure aucune hypothèse notamment celle de modifier, de réduire, de suspendre, d’élargir ou même d’abandonner l’exploitation du système si son utilité, sa pertinence, son efficience, son efficacité ne pouvaient être démontrées ou se révéler sans commune mesure avec ses coûts d’entretien et d’exploitation.

Le Cabinet Althing, retenu pour effectuer cette prestation, a rencontré durant l’année 2011, de nombreux partenaires, analysé un grand nombre de données chiffrées et documents. Le contenu de la prestation s’est décomposé de la manière suivante :

  • Présentation du dispositif amiénois (historique, caractéristiques…)
  • Etude de l’impact de la vidéosurveillance sur la délinquance sur le territoire de la ville d’Amiens,
  • Etude de l’aspect partenarial corrélatif au dispositif de vidéosurveillance,
  • Etude juridique et financière du dispositif de vidéosurveillance, basée sur l’analyse du dispositif et sa conformité avec le cadre juridique et réglementaire,
  • Analyse technique du dispositif, portant sur l’analyse des capacités du dispositif de vidéosurveillance, sur les choix techniques réalisés et leur concordance avec les objectifs assignés au dispositif, ainsi que sur le respect des Règles de l’Art quant à sa mise en œuvre,
  • Préconisations en vue d’une exploitation améliorée et d’un impact accru.

• Présentation du dispositif amiénois :

Naissance du dispositif : « Les premières installations de vidéo sur voie publique ont lieu dans les années 1980, avec 16 caméras dédiées à la surveillance des flux de véhicules sur les grands axes de circulation. Les années 1990 voient l’installation d’une dizaine de caméras sur l’Hôtel de ville et les postes de police municipale. L’année 2000 marque la montée en puissance de la vidéosurveillance dans sa conception actuelle sur Amiens, avec la nomination d’un Maire Adjoint en charge de la sécurité, et l’installation de 25 caméras sur le centre ville, dans le cadre de la piétonisation des espaces ».

« La conception du dispositif, et l’usage actuel qui en découle, sont particuliers et méritent à ce titre un éclairage particulier. En effet, le dispositif de vidéo protection d’Amiens diffère quelque peu des autres dispositifs sur le territoire national, dans la mesure où il est dédié en grande partie à la gestion des bornes escamotables, et donc au contrôle des flux urbains sur l’hypercentre. L’utilité en matière de prévention de la délinquance pour une grande partie des caméras du centre ville s’avère donc secondaire. La conception du dispositif de vidéo protection semble donc avoir été réalisée d’abord en fonction de l’implantation de bornes escamotables, et non en fonction des points de cristallisation d’actes de délinquance ».

En effet, ce n’est pas forcément ce qui a été présenté à la population au moment de son installation, mais ce dispositif n’a jamais eu pour vocation première de lutter contre la délinquance. Il s’agissait d’un outil d’aide à la gestion dont l’extension a suivi celle des voies piétonnes. Les lieux d’implantation des caméras ont donc été davantage guidés par la proximité immédiate de fibre optique et de bornes d’accès aux voies piétonnes que par une cartographie de la délinquance. C’est pour cette raison que 85% des caméras sont positionnées en hyper centre.

Étude de l’impact du système de vidéosurveillance de la Ville d’Amiens sur la délinquance :

« L’analyse de l’impact de la vidéo protection sur la délinquance d’un territoire donné est un travail délicat à mener, tant les liens de causalité entre vidéo et évolution de la délinquance sont difficilement démontrables » :

Multiples facteurs de l’évolution de la délinquance

– Difficile identification des affaires où la vidéosurveillance a été utile. »

Le Cabinet Althing s’est, en outre, heurté à l’incapacité des services de la police nationale à transmettre des statistiques de l’évolution de la délinquance entre 2008 et 2010 à l’adresse, ces données ayant été transmises par secteur géographique, ce qui empêche de mesurer l’impact précis de l’installation de telle ou telle caméra sur la délinquance.

Le cabinet conclut comme suit :

« La proportion importante d’actes de délinquance acquisitive sur la voie publique justifie la nécessité de vidéo protection, tout particulièrement sur le centre Ville de la Commune » tout en reconnaissant que la vidéo protection n’a pas un impact important sur ce type de délit.
«Face à ce besoin, Le dispositif de vidéo protection ne répond pas pleinement aux attentes : le très faible nombre de réquisitions émises par la police nationale traduit le faible impact de l’outil.

« Les raisons de cette inefficacité sont doubles :
-Les opérateurs sont insuffisamment concentrés sur leurs missions de prévention de délinquance et de tranquillité publique ; la gestion des bornes nuit à leur attention et à la disponibilité des effectifs sur les créneaux à risque.
-Le partenariat avec les services de la Police nationale est à repenser ».

• Étude de l’aspect partenarial corrélatif au dispositif de vidéo protection :

« Il est aujourd’hui d’usage de consulter les représentants des forces de l’ordre dans le cadre de la préparation des implantations de vidéo protection. Cette phase de concertation doit permettre de recenser les besoins en matière d’implantation, de manière à faire coïncider les implantations de vidéo avec les lieux de la concentration des actes de délinquance. La concertation est également importante si l’on conçoit que les forces de l’ordre vont être utilisatrices, « en bout de chaîne », du dispositif de vidéo. Il est apparu au cours des entretiens que les forces de l’ordre n’ont pas été associées de manière fine à la conception du dispositif et la définition des implantations ».

La question du partenariat avec les forces de l’ordre conditionne, en partie, l’efficacité d’un dispositif de vidéo protection sur voie publique.

Afin d’améliorer les conditions d’intervention de la police nationale et de renforcer la sécurité publique, la ville a autorisé, fin 2010, le déport des images de la vidéosurveillance vers le centre d’information et de commandement de la police nationale. Afin que ce report d’images ne constitue pas une atteinte à la souveraineté du système de vidéosurveillance de la Ville, ses conditions ont été précisées par le biais d’une convention. En l’espèce, il ne s’agit pas d’autoriser la police nationale à bénéficier en continu du report des images du système de vidéosurveillance, mais de lui permettre, en cas d’infraction ou d’événement troublant l’ordre public, de bénéficier temporairement, du report des images et du pilotage d’une ou de plusieurs caméras.

• Etude juridique et financière du dispositif de vidéo protection :

Sur le plan juridique, le Cabinet a conclu que le dispositif amiénois était en adéquation avec le cadre juridique et réglementaire.

D’un point de vue comptable, le coût global moyen d’installation d’une caméra s’est élevé à Amiens en moyenne à près de 15 000 euros TTC. Cela est bien inférieur au coût estimé par la Cour des Comptes, dans son rapport de juillet 2011 (36000 euros TTC/ caméras).

Ce faible coût s’explique par le fait qu’un grand nombre des implantations s’est fait au moment de la piétonisation, ce qui a permis de réduire les coûts de génie civil. Pour illustration, ce coût passe en moyenne à 21000 euros TTC pour les caméras implantées en dehors du centre Ville d’Amiens.

Données hors étude (source : direction des finances/direction de la sécurité et de la prévention des risques urbains)
– coût total de l’investissement : près de 800 000 € (hors entretien, maintenance et fonctionnement).
– maintenance du CSU : 75 000€ par an
– coût du personnel permanent : 713 782€ par an pour 21 agents
– autres dépenses de fonctionnement : 82 700€

• Analyse technique du dispositif :

« Sur Amiens, le dispositif vidéo est techniquement satisfaisant et l’impact limité du dispositif n’a donc pas d’origine purement technique. Pour autant, la caméra dôme a pour principe de fonctionnement de varier ses champs de visionnage soit sous le contrôle de l’opérateur, soit de manière cyclique. L’amélioration du dispositif pourrait donc en partie porter sur le paramétrage plus précis des cycles des dômes, de manière à rendre plus pertinents les champs de visionnage lorsque les opérateurs n’ont pas la main. »

• Préconisations en vue d’une exploitation améliorée et d’un impact accru :

« Les moyens mis en œuvre sont globalement satisfaisants : l’aspect technique du dispositif est bon […] et l’équipe d’opérateurs est assez bien dimensionnée (encadrement et personnel d’exploitation). Pour autant, les améliorations suivantes pourraient être envisagées :
– Recentrer les opérateurs sur leur métier premier, en les déchargeant des bornes ;
– Gagner en lisibilité pour l’activité des opérateurs (recenser les requêtes d’images et les signalements) ».

Le Cabinet évoque enfin l’historique de la mise en place du dispositif de vidéosurveillance, son ancienneté et précise que « les implantations de vidéo ne coïncident plus toujours avec les points de la Ville cristallisant le plus d’actes de délinquance.[…] Par conséquent, dans un souci de maîtrise de la dépense publique, un déplacement de quelques caméras existantes peut être envisagé, après concertation avec les partenaires. »

 

Voir et télécharger l’étude complète sur le site d’Emilie Thérouin