Rapport 2006 de la commission de « suivi de la détention provisoire »
Partager

Le rapport 2006 est le quatrième de la Commission de suivi de la détention provisoire, instituée par la loi du 15 juin 2000. Dans une première partie, il expose la modification des textes normatifs relatifs à la détention provisoire, l’évolution statistique du recours à la détention, la réparation de la détention provisoire injustifiée. Dans la deuxième partie, il présente le thème retenu en 2005 : la durée de la détention provisoire.Outre des considérations d’ordre général sur le recours actuel à la détention provisoire, la Commission de suivi de la détention provisoire, instituée par la loi du 15 juin 2000, s’attache à analyser la durée des détentions provisoires ordonnées dans le cadre de l’instruction et plus particulièrement les déterminants de cette durée.

Considérations générales

Après avoir déploré la multiplication des textes en matière pénale dans ses deux précédents rapports, la Commission constate que peu de textes relatifs à la détention provisoire et au contrôle judiciaire sont intervenus en 2006 et considère que cette pause législative souhaitée par tous est incontestablement opportune.

En premier lieu, la Commission procède à une analyse des données statistiques relatives à la détention provisoire depuis l’arrestation d’auteurs d’infractions pénales jusqu’à leur éventuelle condamnation.

Elle constate que le nombre de poursuites pouvant donner lieu à détention provisoire est en hausse depuis 2001 en raison de l’augmentation importante du recours à la comparution immédiate et malgré une diminution du nombre d’informations judiciaires.

En 2005, le taux de détention provisoire qui rapporte le nombre de mandats de dépôt au nombre de mis en examen a augmenté. En effet, si le nombre de mandats de dépôt délivrés dans le cadre d’une instruction a diminué, cette baisse s’est accompagnée d’une diminution encore plus
importante du nombre de mis en examen.

La Commission renouvelle toutefois ses préoccupations face à l’insuffisance des statistiques disponibles dans ce domaine (répartition des affaires soumises à l’instruction par type de contentieux, analyse des requalifications). S’agissant plus particulièrement du thème retenu pour ce
rapport, la Commission relève l’absence de sources statistiques permettant d’analyser la durée de la
détention provisoire par classe de durée, par type de procédure et par nature d’infraction.

En second lieu, la Commission a, en application de la mission confiée par la loi du 15 juin 2000, analysé les décisions rendues en 2005 et au premier semestre 2006 par la commission nationale de réparation des détentions en s’attachant particulièrement à mettre en exergue les
évolutions jurisprudentielles.

La commission nationale de réparation des détentions a rappelé l’autonomie de la procédure de réparation des détentions provisoires injustifiée par rapport à celle reposant sur le fonctionnement défectueux de la justice pour couper court à toutes velléités de comparaison avec les sommes octroyées aux « acquittés d’Outreau ».

Toutefois, face à la complexité liée à la dualité de
fondement du droit à réparation du préjudice généré par une procédure unique, la Commission de suivi de la détention provisoire considère qu’il semble opportun de s’orienter vers l’institution d’une procédure unique de réparation.

Une place particulière est faite aux décisions qui infléchissent la jurisprudence. Ainsi, la commission de réparation des détentions n’exclut plus systématiquement l’indemnisation en cas de condamnation partielle et tronçonne la détention provisoire effectuée en déduisant six mois de détention provisoire dans le cas d’une personne bénéficiant d’un non-lieu pour des faits criminels et
renvoyée devant le tribunal correctionnel pour des faits délictuels.

De même, suite aux travaux initiés en 2003 par le premier président Canivet sur la souffrance morale liée à la détention, cette commission ne considère plus l’existence d’un passé carcéral comme une cause de minoration automatique du préjudice moral.

Sans reconnaître le droit à indemnisation des victimes par ricochet, la commission nationale a infléchi sa jurisprudence en prenant en compte au titre du préjudice matériel les frais engagés par une épouse pour visiter son mari en maison d’arrêt à hauteur de la moitié en application du régime de la communauté légale.

La durée de la détention provisoire

La thématique retenue pour ce rapport ayant été au cœur des débats publics suite à l’affaire dite « d’Outreau », la Commission a simplement souhaité retracer les données existantes et les observations faites par les personnes auditionnées tout en faisant part de ses propres commentaires.

Dans cette perspective, la Commission a tout d’abord étudié les critères présidant au choix de procédure opérée par le parquet, plus particulièrement à l’orientation des affaires vers la comparution immédiate et l’instruction, pour ensuite s’attacher plus longuement, à l’analyse des
déterminants des longues détentions provisoires (l’étude des détentions provisoires ordonnées dans le
cadre de la comparution immédiate est toutefois le thème retenu pour le rapport 2007
). La durée de la
détention provisoire est ensuite abordée en tant que critère majeur de l’indemnisation des détentions
provisoires injustifiées.

  • L’impact des choix procéduraux sur la durée de la détention provisoire :

Outre les critères légaux et ceux liés aux nécessités de l’enquête, la Commission recense les divers critères guidant le parquet dans le choix de la procédure à mettre en œuvre avec toutes les conséquences induites en termes de durée de la détention provisoire :
– la politique pénale suivie par les parquets (directives ministérielles tendant à la restriction des ouvertures d’information et au développement des procédures rapides notamment la comparution immédiate).
– la qualification de l’infraction (ouverture des informations avec une qualification criminelle ou à l’inverse « correctionnalisation » des faits pour éviter l’ouverture d’une information).
– la charge des juridictions et aux moyens dont elles disposent (gestion des flux de dossiers en recourant à la comparution immédiate ou à la requalification des faits).

L’analyse statistique met en exergue le fait que, si l’opinion publique s’attache légitimement aux détentions provisoires longues ordonnées dans le cadre d’une instruction, notamment lorsque la procédure se termine par un acquittement ou une relaxe, les placements en
détention provisoire sont quantitativement plus importants dans le cadre des procédures de comparution immédiate.

Les outils statistiques disponibles (à savoir l’exploitation des données du casier judiciaire national et les statistiques pénitentiaires trimestrielles) permettent de constater une tendance de long terme à l’allongement de la durée moyenne de la détention provisoire (3,7mois en 1984 contre 5,5 mois en 2004).

La Commission précise toutefois que cet indicateur de durée moyenne ne permet pas de cerner ni l’application concrète des délais légaux, ni l’évolution à court ou long terme des
durées de la détention provisoire, ni d’analyser distinctement les courtes et longues détentions selon le
mode de poursuite mis en Wuvre (comparution immédiate, instruction).

  • La durée de la détention provisoire dans le cadre de l’instruction :

la Commission analyse plus particulièrement les déterminants des longues détentions provisoires liés
soit aux mécanismes de l’institution judiciaire elle-même soit à ceux des personnes apportant leur concours :

– la nature des affaires soumises au juge d’instruction : seules les affaires présentant un caractère de gravité et de complexité font l’objet d’une information judiciaire et engendrent par conséquent un grand nombre d’actes d’investigation.
– le soin mis dans l’établissement de la vérité : l’aveu ne constitue plus qu’un élément de preuve, les juges d’instruction tendent à multiplier les actes pour parvenir à la manifestation de la vérité.
– l’effacement du caractère exceptionnel de la détention provisoire lorsque tout conduit à penser que la durée de la détention s’imputera en totalité sur une longue peine certaine, cet état d’esprit étant partagé par les magistrats et les enquêteurs. La détention provisoire prend alors la forme d’une pré-peine.
– la pénurie de moyens matériels et humains : la Commission attire particulièrement l’attention du parlement sur la situation des cours d’assises et notamment sur les délais d’audiencement qui conduisent à un allongement de la durée de la détention provisoire effectuée après
l’ordonnance de renvoi.
– l’extension des droits des parties pour prémunir le juge contre des vérités trop vite établies induisant un allongement de la durée de l’instruction et des procès (plus particulièrement des procès d’assises).
– les conditions d’exécution des commissions rogatoires qui dépendent en partie des relations entre les magistrats et les services d’enquête et de l’organisation interne de ces derniers.
– la multiplication et le délai de réalisation des expertises : le nombre d’expertises a augmenté dans des proportions plus importantes que le nombre d’experts. Or, la réalisation d’expertises représente une charge notamment pour les experts exerçant à titre libéral qui n’est pas
compensée par la rémunération de ces actes. Du fait du nombre croissant des expertises et de la charge de travail des « bons » experts, les délais de réalisation s’imposent de fait au magistrat. Ces délais semblent s’allonger d’autant plus que le nombre d’experts chargés de la réaliser concomitamment (collège d’experts) ou successivement (contre-expertise) est important.

  • la place de la durée dans la réparation de la détention provisoire injustifiée :

outre le retentissement sur le préjudice matériel, la durée de la détention provisoire injustifiée a une incidence sur l’appréciation du préjudice moral. La place de ce critère est appréciée au travers de l’analyse des décisions de la commission nationale des réparations laquelle admet à présent une indemnisation « partielle » en cas de non-lieu partiel en déduisant de la durée totale de la détention effectuée la durée maximale de détention à laquelle pouvaient donner lieu les infractions poursuivies.

La Commission présente en outre la méthodologie retenue pour l’exploitation statistique des décisions des premiers présidents. Cette étude est menée conjointement avec le CESDIP et le Pôle études et évaluation de la Direction des affaires criminelles et des grâces.
Les premiers résultats sont donc publiés :
– Il en ressort que 43% des requêtes présentées devant les premiers présidents font
suite à un non-lieu, 20% à un acquittement et 36% à une relaxe.
– En cas de non-lieu et de relaxe, la durée moyenne de la détention provisoire injustifiée est de 5 mois, elle est de 1 an et demi en cas d’acquittement.
– Le délai moyen entre la sortie de détention provisoire et l’indemnisation est de 51,3 mois. Ce délai est ensuite ventilé selon le motif de l’indemnisation et tronçonné en délais séparant la sortie de détention du motif d’indemnisation (non-lieu, relaxe, acquittement), le motif et la date de la requête, la requête de l’indemnisation.
– Les montants moyens d’indemnisation sont déterminés selon la nature de l’infraction, l’existence ou non d’antécédents judiciaires.

Les résultats définitifs relatifs notamment aux déterminants du montant moyen journalier de l’indemnisation seront connus courant 2007.