Etat d’urgence…
Partager

Etat d’urgence : « On ne répond pas à une crise sociale par un régime
d’exception »

Intervention de Martine Billard en discussion générale.
1ère séance du mardi 15 novembre 2005.Il nous est demandé aujourd’hui de proroger pour trois mois l’état
d’urgence.

Quelle image de notre pays est ainsi donnée à l’extérieur ! La République.
Est-elle en danger ? Y-a-t-il guerre civile ? Non.

L’instauration de l’état d’urgence, nous sommes habitués à en entendre
parler à propos de pays totalitaires, de pays dictatoriaux. Mais dans une démocratie, et dans notre pays précisément, y avait-il besoin de déclarer l’état d’urgence, qui plus est, en utilisant cette loi du 3 avril 1955, intitulée « loi instituant l’état d’urgence et en déclarant l’application en Algérie » ?

Après le refus de reconnaître les terribles événements du 17 octobre 1961, après l’affirmation du rôle positif de la colonisation au détour d’une loi en faveur des rapatriés d’Algérie, voilà que pour réprimer les violences urbaines, vous ressortez cette loi issue du passé colonial de la France !
Quel terrible symbole !

Même lors des événements de 1968, le gouvernement de l’époque n’avait pas décidé l’état d’urgence.

Oui, il est de la responsabilité du gouvernement en place, quel que soit ce gouvernement, de trouver les solutions pour arrêter les violences lorsqu’elles ont lieu. Mais cela ne peut se faire sans essayer d’en comprendre les origines, ni en mettant de l’huile sur le feu. Car il ne suffit pas de rétablir momentanément l’ordre, encore faut-il être capable de supprimer les raisons de ces violences.

Aujourd’hui, avez-vous besoin de cette loi de prolongation de l’état
d’urgence ? La réponse est clairement Non.

En effet :

  • les couvre-feux pour les jeunes, il y en a déjà eu avant cette loi ; ce qui prouve qu’elle n’est pas nécessaire ;
  • des interdictions de rassemblements, de manifestations : il y en a eu de nombreuses dans le passé. Pas besoin de l’état d’urgence pour cela ;
  • les contrôles d’identité au faciès : les jeunes de ces quartiers de

relégation les vivent quotidiennement, sans état d’urgence, et c’est
justement contre cela que les jeunes de ces quartiers se révoltent.

Quelles sont donc vos raisons politiques profondes ?

Depuis trois ans, toutes vos réformes judiciaires et toutes les propositions de votre majorité n’ont qu’un seul fil conducteur : la réstriction constante des libertés. Vous voulez continuer à surfer sur la peur.

Le décret, puis cette loi, ainsi que vos discours, Monsieur le ministre, ont ceci de terrible, c’est que des cités entières et toute une jeunesse qui essaie de s’en sortir sont renvoyées à une même image : celle d’habitants de territoires à part, pour lesquels on déclare le couvre-feu. C’est la division de la France en deux. Et quand on entend parler dans cet hémicycle de « sacrifice financier » à propos des investissements dans ces cités, on se dit que l’égalité est mal partie.

A ne pas avoir su ou voulu combattre efficacement les inégalités et les discriminations qui se cumulent dans les quartiers de relégation sociale, la fracture sociale, raciste et territoriale de la France, s’est élargie au cours de ces dernières décennies. Et la politique de sabrage budgétaire menée depuis trois ans ainsi que la stigmatisation constante de l’immigration débouchent aujourd’hui sur cette crise. Et pourtant tous les clignotants étaient au rouge.

Vous sommez les jeunes de « s’intégrer », mais la majorité d’entre eux sont nés ici, ou ont fait l’immense majorité de leur scolarité ici. A leur rappeler sans cesse qu’ils sont « France d’origine étrangère », que veut-on affirmer, si ce n’est que pour certains, à droite et malheureusement parfois à gauche, ils ne seront jamais des Français à part entière ?

Quand vous stigmatisez les « étrangers qui ont participé à ces violences », vous oubliez qu’ils sont certes étrangers au regard des papiers officiels, mais si Français par leur éducation. Vers quel pays voulez-vous les renvoyer ? Ce pays, dans la majorité des cas, ils ne le connaissent même pas !

En tant que non violents, les Verts ne peuvent se reconnaître dans ces
actions violentes contre des personnes ou des biens, ni considérer normal de détruire des équipements publics. Ces violences sont autodestructrices et nuisent essentiellement aux habitants des quartiers en difficultés.

Faire cesser les violences qui pèsent contre les personnes qui aspirent légitimement au calme est bien sûr nécessaire. Malheureusement, nous le savons, la détresse sociale et les discriminations subies, ne sont pas toujours bonnes conseillères pour choisir la façon d’exprimer sa révolte.

Que demandent tous les jeunes de ces quartiers ? Du respect, du travail, de l’espoir pour leur avenir. En bref, la fin des discriminations, sociales et territoriales ! Et que propose le gouvernement ? Des contrats aidés, des stages, l’apprentissage à 14 ans. Mais même à 16 ans, ces jeunes ne parviennent pas à trouver d’emploi à cause de la discrimination à l’embauche ! Bref, vous ne faites aucune proposition constructive.

On ne répond pas à une crise sociale par un régime d’exception. Par
conséquent, non seulement les députés Verts voteront contre cette loi de prolongation de l’état d’urgence, mais demandent de plus l’abrogation de la loi de 1955.


Amendement au Projet de loi n°2673 prorogeant l’application de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 présenté par Mme Martine Billard, MM. Yves Cochet et Noël Mamère

ARTICLE ADDITIONNEL – Avant l’article 1er, insérer l’article suivant :

« La loi n° 55-385 du 3 avril 1955 est abrogée. »

EXPOSE DES MOTIFS – La loi n° 55-385 du 3 avril 1955 est clairement née dans le contexte de la guerre d’Algérie. Maintenir dans notre droit national une loi qui fait explicitement référence à cette période historique ne fait que rouvrir les blessures du passé colonial de la France. Notre pays, si attaché aux principes de l’Etat de droit se doit d’abroger les restes de son passé colonial qui l’avait conduit à mettre en place des lois d’exception. La France n’est ni en guerre, ni un régime autoritaire. Les atteintes ainsi portées aux libertés publiques et individuelles, ne sauraient trouver de justification aujourd’hui d’autant que le jeu normal des institutions permet
aux pouvoirs publics de prendre les mesures nécessaires au maintien de la tranquillité pour l’ensemble des citoyens.

L’amendement, mis aux voix, n’est pas adopté.