« Faire tourner la détention autour de la salle de classe ».
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Ce n’est pas un mince paradoxe. La chancellerie marque d’un colloque, lundi 12 et mardi 13 septembre à Paris, le 60 eanniversaire de l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante, texte qui a consacré pour les 10-18 ans la primauté de l’éducation sur la répression. Au même moment, le ministère achève de dessiner son projet phare en matière de justice des mineurs : la création de sept prisons entièrement réservées aux adolescents.

Dans ces nouveaux établissements, surveillants et éducateurs sont appelés à former un « binôme » afin, selon les termes officiels, de « faire tourner la détention autour de la salle de classe » . Cette ambition bouleverse la culture de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qui a succédé en 1990 à l’éducation surveillée : la PJJ a bâti son identité grâce à sa séparation d’avec l’administration pénitentiaire. Pour nombre de professionnels, l’ambition éducative de 1945 est menacée. Le SNPES-PJJ, syndicat majoritaire chez les éducateurs, a appelé à la grève, lundi, pour dénoncer le « formidable bond en arrière » que représentent selon lui le projet. «  La vie ne s’apprend pas en prison  » , martèle le syndicat de la FSU.

« C’est conviction contre conviction, répond Jean-Louis Daumas, responsable du dossier à la direction de la PJJ. Pour la première fois, il y aura pour les mineurs incarcérés une présence éducative continue d’adultes, de 7 h 30 à 21 h 30. » Actuellement, rappelle-t-il, les prisonniers mineurs vivent dans des conditions indignes en maison d’arrêt : promiscuité avec les adultes, inactivité, manque de soins. Au 1 er septembre, ils étaient 646 (1,14 % de a population carcérale).

Le programme, inscrit en 2002 dans la loi d’orientation pour la justice, est coûteux : 90 millions d’euros d’investissement pour 420 places. La mise en service des deux premières prisons est prévue pour début 2007, à Lavaur (Tarn) près de Toulouse et Meyzieu (Rhône) près de Lyon. Les autres devraient être implantées à Chauconin (Seine-et-Marne), Marseille, Orvault (Loire-Atlantique), Porcheville (Yvelines) et Quiévrechain (Nord).

Chacune comprendra six unités de dix adolescents. Cellules individuelles (douches et toilettes privatives), espaces de vie en commun, terrains de sport, parloirs quotidiens : ces prisons répondront aux normes européennes. La chancellerie prévoit la présence permanente de trois adultes par détenu. 41 personnels de la PJJ (éducateurs et professeurs techniques) ainsi que 70 à 80 surveillants sont prévus par établissement. Pour les enseignants et les personnels de santé, des discussions sont en cours avec les ministères concernés. Les syndicats pénitentiaires affichent un grand scepticisme sur la réalité de ces moyens.

La direction des prisons, comme toutes les autres, relèvera de l’administration pénitentiaire seule. L’organisation de la journée, elle, sera de la responsabilité de la PJJ. « Chacun aura sa fonction principale » , souligne-t-on à la direction de la PJJ. Mais, concrètement, les choses restent à définir. La protection judiciaire de la jeunesse prévoit que les éducateurs aient les clés permettant de circuler dans les prisons. En voudront-ils ?

Le projet prévoit 20 heures hebdomadaires d’enseignement sur le modèle des classes-relais, 20 heures de modules d’orientation, et 20 heures de sport. La journée, calquée sur les horaires de la vie civile, dérogera au régime carcéral habituel. Elle débutera à 7 h 30 et s’achèvera par un retour en cellule à 21 h 30 au lieu de 18 heures en maison d’arrêt. Les activités, organisées par groupe de six au plus, occuperont toutes les matinées et après-midi.

Les repas seront pris en commun, en présence des adultes. Après celui de midi, précise la PJJ, le jeune détenu pourra demander à rester un moment seul dans sa cellule. Autour de celui du soir, un temps sera consacré à la vie collective (tâches domestiques notamment). L’heure d’extinction des feux sera fixée par le règlement intérieur de chaque établissement.

Des discussions sont aussi en cours pour adapter le régime disciplinaire habituel : la PJJ souhaite que le placement au mitard soit plus court (8 jours maximum au lieu de 15), qu’il n’empêche ni les parloirs avec la famille ni les cours, et qu’il puisse être remplacé par des mesures de réparation. Ces aspects feront partie d’un décret en Conseil d’Etat qui, en octobre, remettra à plat l’ensemble des règles de la détention des mineurs.

« CAS PAR CAS »

Quant aux 65 quartiers mineurs existants, ils resteront en activité. Leur rénovation vient d’être engagée, pour 15 millions d’euros. En outre, la « carte pénitentiaire » doit permettre de limiter l’éloignement des familles. Quels sont les mineurs qui iront dans les nouveaux établissements ? « Il faudra faire du cas par cas » , défend Michel Duvette, le directeur de la PJJ. Pour les prévenus en attente de jugement, la PJJ évoque un « module d’orientation » de deux ou trois jours, à l’issue duquel, sur proposition des éducateurs, le juge décidera du lieu d’écrou.

Les quartiers mineurs des maisons d’arrêt sont occupés à 70 %. Le système d’enfermement des moins de 18 ans sera donc prochainement en forte surcapacité. Il est à craindre que les nouvelles prisons créent un appel d’air. « A chaque fois que l’on a construit des prisons, on les a remplies » , rappelle Céline Verzeletti, de la CGT-pénitentiaire.

Nathalie Guibert

LE MONDE | 12.09.05


P.S. :
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