Intervention de Pierre Victor Tournier
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C’est avec plaisir que j’ai accepté l’invitation de la commission justice des Verts, à venir parler de ce sujet (Mise en oeuvre de mesures et sanctions pénales) à cette convention nationale.
Pour moi c’est loin d’être de la technique, mais je n’aurai guère le temps d’expliquer pourquoi pour le conseil de l’Europe, comme pour moi, parler de « mesures et sanctions pénales » et non de « peine », comme on le fait systématiquement en France, c’est une véritable rupture épistémologique, mais aussi politique.
Au lieu de faire dans le juridisme, on commence à prendre la réalité de plain fouet. Exemple : Le Rapport Warsmann concernant en particulier la gestion des courtes peines a commis cet exploit politique d’aborder le sujet des courtes peines sans quasiment prononcer le mot « détention provisoire » (Le sujet avait déjà été traité avant…). _ Quand on sait un peu comment fonctionne la justice pénale, une bonne partie des courtes peines est exécutée avant d’avoir été prononcée.

Cet ensemble « mesures et sanctions pénales » sur le plan scientifique est quelque chose de très compliqué : quand quelqu’un a passé 4 mois en détention provisoire (il fait l’objet d’une mesure et non d’une sanction) et qu’il est finalement condamné à 4 mois ou plus, il découvre brusquement qu’il s’est trompé, il s’agissait d’une sanction en définitive (qui sera d’ailleurs difficile a aménager puisqu’elle a déjà été exécutée en grande partie). Avec cet exemple, faire entrer dans le débat politique ce concept de « mesures et sanctions pénales » (introduit indirectement début 90 par le conseil de l’Europe) est un choix important et rencontre une résistance considérable (universitaire, scientifique et politique) sur lequel on pourrait dire énormément de choses. Certains finissent par considérer que la prison sur le plan juridique est un lieu d’exécution des peines alors qu’un tiers des détenus sont présumés innocents (en détention provisoire). Si le droit a un sens, ils n’exécutent pas une peine, ils font autres choses qui prendra un sens différent (cf Outreau) dans la suite de leur histoire.

C’est en tant que militant politique que je m’adresse à vous dans cette période où il convient de limiter les débats et les diagnostiques que nous avons tous déjà faits et où il convient de prendre en urgence des décisions. Qu’est-ce que ces décisions ? Ce sont des discussions programmatiques, qui indiquent ce que l’on va faire ou tenter de faire ; je ne suis pas un grand optimiste des chances de la gauche pour la période mais cela n’empêche pas d’agir. Il y a urgence à indiquer pourquoi il est souhaitable que la gauche durable et unie s’impose.
Il faut faire des propositions et en discuter (mais pas sur le diagnostique où l’on est tous d’accord…).
Les sanctions pénales françaises déjà très riches à l’image du couteau suisse pénal s’accumulent encore chaque jour (ex : Travaux scolaires comme sanctions pénales proposés par Sarkozy pour les enfants de 10 ans).

Dans cette démarche programmatique urgente, des tas de propositions émergent (et on a tendance à refaire chaque fois l’histoire de la prison) ; elles doivent se centrer autour de trois références que je voudrais faire partager au Parti Socialistes, au Parti Communistes et aux Verts :

1 – Une référence systématique aux travaux du Conseil de l’Europe :
Le 11 janvier 2006, date fondamentale qui n’a pourtant pas fait évènement, pas un mot dans les médias ; pourtant ce 11 janvier, le conseil des ministres du conseil de l’Europe (46 Etat membres) s’est mis d’accord sur de nouvelles règles pénitentiaires (ce que la grande Europe n’avait pas fait depuis 87).
Vous trouverez là des choses fort intéressantes : par exemple, le sens de la peine pour l’Europe (règles 102) « le régime des détenus condamnés doit être conçu pour leur permettre de mener une vie responsable et exempte de crime. ». Ne cherchez pas de phrases comparables dans le projet de loi pénitentiaires de Madame Lebranchu. On est d’ailleurs très loin de la notion d’amendement, de rédemption. C’est effectivement un projet laïc. Si nous avons besoin de valeurs, nous allons les trouver, et ces valeurs ce n’est pas n’importe quoi puisque c’est le résultat de cinq années de travail avec toute une série d’experts (scientifiques, magistrats, directeurs d’établissements, éducateurs…) qui ont l’avantage d’appartenir à des cultures différentes. J’espère chez les Verts les [Règles Européennes Rec2006 seront davantage considérées qu’au PS ]

2- La question des travaux scientifiques :
Là encore je rêve que la gauche dans son ensemble ne partage pas l’obscurantisme de la droite en matière scientifique et de sciences sociales ; c’est l’expérience que j’ai du PS qui me fait dire cela : « l’obscurantisme politique en matière de science sociales ».

3- La société civile organisée :
En matière pénale, pour moi il s’agit de deux initiatives… Les Verts sont présents dans ces deux initiatives, la LDH est présente dans ces deux initiatives, le syndicat de la magistrature est présent dans ces deux initiatives…

C’est d’abord le Collectif « Octobre 2001 » créé à l’occasion du 20e anniversaire de l’abolition de la peine de mort et qui aujourd’hui rassemble18 organisations (avec des grands absents dont le PS et l’OIP, absents mystérieux de ces deux initiatives…). Le collectif n’est pas une liste de sigles mais bien de grandes organisations (associatives, syndicales, politiques) : le PC, les Verts, Le Club social démocrate « Des Maintenant en Europe », la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la magistrature, l’ACAT…

La deuxième initiative, plus informelle mais très porteuse, c’est l’initiative de campagne « Trop C Trop » autour du numerus clausus pénitentiaire de Bernard Bolze, qui là encore rassemble nombres de forces politiques et associatives.

Dans les mois qui viennent, ces deux structures ont un rôle majeur à jouer en terme de travail programmatique, parce qu’elles représentent nombres de personnes. 250 000 personnes si on additionne les adhérents des organisations du collectif. Pour les Verts il est essentiel de considérer que ce collectif est un partenaire important non seulement pour 2007 mais pour construire à terme des choses fortes.

En terme programmatique, sans rentrer dans le détail, vous pouvez retrouvez les textes que je propose mais aussi ceux de club « Des Maintenant en Europe » sur le site de la commission Justice des Vertsque je salue, Laurent… ». J’aimerais trouver la même ouverture d’esprit au PS pour mettre en ligne des textes en discussion qui ne sont pas des bibles… celui de la commission justice des Verts suit et joue un rôle majeur comme d’autres dans cette discussion programmatique.

  • Quatre points :

* Code Pénal :
Il est essentiel de modifier de façon très importante le code pénal ; ceci est inaudible au PS « puisqu’ils l’avait déjà changé »… Trois points auxquels je pense concernant la modification du code pénal (pas de toilettage) :

1 – suppression de la peine perpétuelle.

2 – suppression des périodes de sûreté. Dans la dernière version de la loi pénitentiaire M. Lebranchu, que j’estime beaucoup, avait modestement proposé que les périodes de sûreté ne soit plus prononcées automatiquement… c’est pas mal, mais est-ce que cela vaut le coup de voter à gauche pour que les périodes de sûreté ne soient plus automatiques ? Non, ce ne sont pas des valeurs qui nous permettent d’aller au combat électoral avec des arguments.

3 – faire en sorte, avec volontarisme, sens et outils, que la prison ne soit plus centrale en matière pénale. Ce ne sont pas que des mots, il y a des façons simples de le faire. Il s’agit de définir toute une série d’infractions, avec des conditions particulières peut-être en terme de récidive, qui ne pourront plus être sanctionnées par la prison. Par exemple, le vol simple pour un non récidiviste ne sera plus sanctionné par l’enfermement mais par un TIG (dont je précise qu’il faudrait parler de Service d’Intérêt Général… sanctionner quelqu’un qui peine à s’insérer et à trouver du travail, par le travail, il y a là quelque chose de pervers ; les symboles c’est important).

4 – Personnellement et avec d’autres, je pense qu’on aurait intérêt à simplifier le code pénal et pour les mineurs à créer quelque chose qui serait calqué sur une « probation à l’Anglaise ». Par exemple, pour les mineurs notamment, faire disparaître le sursis simple (qui n’a pas de sens).
[ Le sursis simple : On prononce une peine de 3 mois puis il y a un sursis à exécution, c’est à dire que ces trois mois ne sont pas exécutés immédiatement et pourront ne pas être exécutés… mais la prison reste au coeur de cette affaire sous forme d’épée de Damocles.]
[La probation à l’Anglaise, c’est autre chose puisque la prison n’est pas du tout présente dans cette sanction. La probation est une période fixée durant laquelle le condamné à des obligations et des interdits et si cela ce passe mal il est de nouveau jugé.]
Avec ce système on sort du système centré sur la prison, et ce n’est pas le seul.

* LOI no 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes :
Si la gauche veut reconstruire des choses dans ce domaine là, il faut repartir de cette loi du 15/06/2000 qui est une grande victoire de la gauche (je pourrais développer), document à reprendre, à poursuivre, et qui doit être central dans la programmation des mois à venir.

* Projet de loi pénitentiaire :
Le projet de loi pénitentiaire, loin de devoir être jeté aux poubelles de l’histoire comme la loi sur la récidive de la droite, même si elle est limitée dans ces objectifs (pression de tous côtés). Il faut reprendre ce texte à la lumière de celui des recommandations du conseil de l’Europe REC2006 sur les Règles pénitentiaires européennes… qui vont 100 fois plus loin que ce que la gauche plurielle avait tenté de faire autour de la loi pénitentiaire.

Surtout ne pas penser comme au PS, « la loi pénitentiaire est prête, votons là ».

* Le numerus clausus :
En deux mots c’est une place, un détenu. Vu à travers la droite ou les abolitionnistes c’est l’idée invendable de dire « un condamné ne entre pas en prison tant qu’un autre ne sort pas… » ce n’est pas cela, ni même l’extension du parc pénitentiaire. Il faut éviter de laissez dire par le garde des sceaux que le numerus clausus c’est la libération de grands criminels, il faut aussi empêcher les juges de placer systématiquement en détention provisoire…

C’est par exemple, l’aménagement systématique des courtes peines d’un an. Hors aujourd’hui il y a 10 000 détenus en surnombre et curieusement 10 000 détenus qui purgent un reliquat de peine de moins d’un an (et la plupart de la peine a déjà été effectuée en détention provisoire). On peut de façon plus efficace les prendre en charge en milieu ouvert. Avec cette solution facile à mettre en place de façon technique, on abandonne la construction de nouvelle prison, c’est possible !

Merci.

Pierre Victor Tournier
Directeur de recherche CNRS
Animateur du club « Des Maintenant en Europe »


P.S. :
Enregistré et retranscrit par L. Leriche (2006)