Isolement : oubliettes de la République ?
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Communiqué de presse ACAT-France

Cyril Khider : 5 ans de détention provisoire.
Bientôt 4 ans à l’isolement. Une situation inacceptable que vient de prolonger le Garde des Sceaux le 4 octobre dernier.

L’ACAT-France, consternée par cette situation, a de nouveau écrit au Garde des Sceaux, jeudi 20 octobre pour lui demander de se conformer à ses déclarations récentes concernant le respect des droits fondamentaux des personnes détenues.

L’ACAT-France demande en urgence :

  • Le jugement sans délai de M. Khider, qui mettrait fin à la détention provisoire abusive dont il fait l’objet.
  • Le fin de la mesure d’isolement qui détruit la santé de ce détenu comme l’attestent plusieurs certificats médicaux que l’administration n’a pas pris en compte lors de la décision de prolongation, contrairement aux Règles européennes dont se prévaut la France.
  • Une lisibilité et une transparence plus grandes de son dossier.

Pour que ne pèse pas sur M. Khider les dysfonctionnements du système pénal français.

Lettre au Garde des Sceaux

C’est avec une certaine amertume que nous vous écrivons de nouveau au sujet de M. Cyril Khider, que notre association suit depuis plusieurs mois. Malgré l’indifférence et les réponses souvent sibyllines de vos services, nous tenons une fois encore à vous faire part de notre vive inquiétude concernant Cyril Khider et la façon dont il est traité actuellement.

Comme vous le savez, cette personne est en détention provisoire depuis plus de 5 ans, maintenu à l’isolement depuis plus de 3 ans et demi, et vous venez de décider de la prolongation de cette mesure pour 4 mois de plus. Nous souhaitons partager avec vous quelques réflexions.

La détention provisoire de Monsieur Khider

En décembre 2005, vous déclariez aux médias que la détention provisoire devait être « l’exception et non plus la règle », ajoutant : « il faut changer la culture qui est aujourd’hui une culture de détention provisoire ». Heureux de cette déclaration qui va dans le sens d’une meilleure justice, nous en avions pris bonne note. Mais aujourd’hui, nous nous interrogeons.

Comment expliquer que Monsieur Khider soit en détention provisoire depuis plus de 5 ans ? Une exception n’a-t-elle aucune limite temporelle ? Combien de temps faudra-t-il encore attendre pour qu’il soit jugé ? Dans quel état sera-t-il lors de ce procès, lui qui est maintenu dans un isolement total depuis presque 4 ans ?

Etat de santé, Règles pénitentiaires européennes et cohérence…

Claude d’Harcourt, directeur de l’administration pénitentiaire, s’est exprimé le 13 octobre 2006 au sujet des Règles pénitentiaires européennes. « Nous avons toutes les raisons de mettre ces règles au cœur de notre fonctionnement. Elles doivent devenir notre charte d’action ». Là encore, nous avons entendu ces propos avec une satisfaction toute particulière.

Ces nouvelles règles insistent, comme vous le savez, sur l’importance des certificats médicaux, et de facto, sur l’attention qui doit être portée à la santé physique, mentale et psychique des détenus, notamment en cas d’un placement à l’isolement ou d’une prolongation (règle 43).

Comment expliquer dès lors que, malgré l’existence de trois certificats médicaux faisant état de l’apparition de séquelles physiques et psychologiques lourdes liées à l’isolement de Monsieur Khider (7 juin, 8 août et 11 septembre 2006) et la demande d’assouplissement de ses conditions de détention faite par le corps médical, la décision de prolongation ait été prise, sans qu’il soit fait mention de ces certificats médicaux ?

Nous vous rappelons enfin le décret du 21 mars 2006 qui devait réformer en profondeur la mesure d’isolement, dans lequel on peut lire : « Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures, il est tenu compte de la personnalité du détenu, de sa dangerosité particulière et de son état de santé. ». Qui a tenu compte de ce dernier facteur pour Monsieur Khider ? Il n’apparaît nulle mention de ce critère dans votre décision.

Monsieur Ingrain nous répondait, dans son courrier daté du 7 septembre que « les visites des médecins ont lieu au minimum trois fois par semaine conformément à la réglementation et sont souvent plus fréquentes ». Mais cela n’a rien d’étonnant compte- tenu de la détresse psychique et mentale de Cyril Khider. Ce qui est étonnant, en revanche, c’est que votre décision ne fasse à aucun moment référence aux conséquences d’une telle mesure sur un être humain. Quoi que cette personne ait fait, elle a le droit d’être correctement traitée.

Cyril Khider et la surpopulation carcérale

La règle 4 prévoit que « le manque de ressources ne saurait justifier des conditions de détention violant les droits de l’homme ». Pourtant, on peut lire dans les motifs justifiant la prolongation de l’isolement de Cyril Khider : « votre maintien à l’isolement s’avère strictement nécessaire à la maison d’arrêt de Paris La Santé, établissement où la structure et la surpopulation carcérale actuelle ne permettent pas de garantir une surveillance suffisamment efficace en détention ordinaire… ». Nous considérons, au vu des certificats et des informations dont nous disposons, notamment de la part de certains parlementaires, que la mise à l’isolement abusive de M. Khider entraîne des risques très lourds pour sa santé et que le maintenir à l’isolement est une atteinte aux droits de l’homme.

Arguant de raisons matérielles, vous le maintenez à l’isolement et provoquez par là-même une violation de ses droits élémentaires. N’est-ce pas alors contradictoire de vouloir se conformer aux Règles pénitentiaires européennes et, dans le même temps, de faire peser sur une personne mise en examen l’échec de la politique pénale et la surpopulation carcérale que connaît notre pays ?

Outre les points précités, nous souhaiterions comprendre la réalité de certains motifs mis en avant pour prolonger cet isolement :

Comment expliquez-vous qu’il soit fait état de « menaces de mort […] proférées à l’encontre de personnels pénitentiaires à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis » par Monsieur Khider alors qu’aucune procédure, ni disciplinaire, ni judiciaire n’a été engagée sur ces faits, qu’il n’a jamais été auditionné et n’a jamais pu se défendre contre de telles allégations ?

De même, il est fait mention d’ « informations récentes émanant du bureau du renseignement pénitentiaire faisant état de risques particuliers d’évasion ». Serait-il possible de disposer de ces éléments s’ils existent ? Par ailleurs, comment se fait-il là encore que Monsieur Khider n’ait fait l’objet d’aucune procédure concernant ces éléments ?

Fidèles à notre volonté de rester dans les limites du droit et d’œuvrer sans relâche pour le respect des droits de l’homme, nous terminerons cette lettre par une interrogation sur la règle 96 des Règles pénitentiaires européennes. Elle mentionne : « Un traitement particulier est requis pour les prévenus en attente de leur jugement ». Pour la France, qui applique ces règles, laisser un détenu presque 4 ans à l’isolement, lui refuser une détention normale, le pousser à bout physiquement, -dans le but de le pousser à la faute ?- est-ce donc là l’interprétation française du « traitement particulier » ?

En espérant que vous accorderez une attention toute particulière à cette lettre, que vous y apporterez une réponse circonstanciée, portant sur nos questions et non sur le dossier général.


P.S. :
– Contact : Benoît NARBEY – Tél. 01 40 40 74 09 benoit.narbey@acat.asso.fr