Trafic de stupéfiants, mineurs dealers et victimes
La commission Justice des Ecologistes a co-organisé durant les Journées d’été des écologistes 2024 à Tours un atelier consacré au trafic de stupéfiant et aux mineurs qui en sont victimes. Voici son compte-rendu :
Animé par Christiane Lepaumier, membre de la commission Justice avec Guy Benarroche, Sénateur de Marseille, membre de la commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic et de la commission des lois ; Jérôme Durain, Président de la commission d’enquête du Sénat sur l’impact du narcotrafic en France ; Kim Reuflet, Présidente du Syndicat de la Magistrature
Christiane Lepaumier, La Commission Justice a organisé cet atelier sur le Trafic de Stupéfiants en collaboration avec Guy Benarroche très impliqué au sein de la commission d’enquête du Sénat. Cet atelier a pour objectif d’alerter le pouvoir en place de la gravité de la situation en France devant l’ampleur du narco trafic et ses conséquences sur la population, sur les institutions, qui risquent de mettre en péril l’Etat de droit. Nous avons également contacté le Syndicat de la Magistrature pour avoir une vision judiciaire du problème. Les trafiquants de stupéfiants utilisent très largement les mineurs pour la conduite de leurs activités, de plus en plus jeunes sur les points de deal, des Mineurs non Accompagnés, de jeunes adultes en situation irrégulière. Ils sont à la fois dealers et victimes, c’est un phénomène nouveau et très préoccupant. Des enfants de 11,12,13 ans sont exposés à tous les dangers : torture, coups, menaces, actes de barbarie, violences à caractère sexuel. La réponse pénale à leur égard doit cependant être adaptée à leur âge et privilégier l’éducatif et non des mesures de mise à l’écart : Centre Éducatif Fermé, internat d’excellence, qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité dans la prise en charge des mineurs. Il y a nécessité de s’attaquer aux causes de ce trafic. Un soutien aux familles de victimes traumatisées par cette tragédie s’avère urgente et nécessaire.
Guy Benarroche, Sénateur de Marseille, nous présente le rapport d’enquête du Senat lié à la montée des violences à Marseille et dans les territoires ruraux à propos des homicides liés au trafic de stupéfiants. La commission d’enquête au Sénat s’est déroulée à la demande de trois sénateurs de Marseille. Elle a été reprise par le groupe majoritaire républicain. Le périmètre de la commission d’enquête touchait à tous les sujets du trafic qui puisse faire l’unanimité des élus. C’est le plus gros rapport rédigé au Sénat. Les membres de la commission d’enquête ont visité nombre de petites villes. La commission d’enquête a engagé ses auditions dès le 27 novembre 2023 et a remis ses conclusions le 14 mai 2024. Les trois principales recommandations de ce rapport tiennent dans le fait de « faire preuve de lucidité sur la nature du narcotrafic et le traiter pour ce qu’il est : une menace pour les intérêts fondamentaux de la nation », « frapper le « haut du spectre » et ne pas limiter la lutte à des opérations d’ordre public de type « place nette » » et « structurer enfin l’action des services en charge de la lutte contre le narcotrafic ».
Le narcotrafic est étroitement lié au capitalisme, au néolibéralisme sauvage et à ses dérives. Il y règne la loi du plus fort. Le trafic de produits toxique est donc à l’image du commerce des multinationales dans le cadre de l’économie libérale mondialisée. Mais il y a aucune limite aux règles puisque ce trafic est illégal. Il a été étudié l’énorme profit qu’il génère. Le narcotrafic est associé au régime des Etats et notamment dans les pays producteurs. Dans ce rapport, il n’est pas question du sujet de la dépénalisation car ce n’est pas suffisamment consensuel entre tous les sénateurs. Chaque groupe a fait des propositions, le groupe des écologistes a mentionné cette question. Il n’a pas
non plus été évoqué des politiques de prévention parce que c’était impossible du fait que ce commerce et cette consommation sont délictuels. Enfin, si le futur gouvernement ne fait pas de propositions tirées de ce rapport en vue d’un projet de loi, le groupe des écologistes se chargera de rédiger une proposition de loi.
Kim Reuflet, Présidente du syndicat de la magistrature, fait également partie d’un collectif pour une nouvelle politique des drogues et a été juge pour enfants. Elle précise que les magistrats instruisent les procédures concernant les Dealers mais aussi les Trafiquants de Drogue.On part d’expériences liées à l’exercice professionnel et non pas d’idéologie. Le ministre veut poursuivre une politique de répression tous azimuts. C’est la politique facile qui punit plus les usagers et les petits dealers que les gros. On traite bien plus des trafics non autorisés que de l’alcool par exemple qui tue plus de gens. Légaliser la drogue reste angélique et ne traitera pas du problème du narco trafic. Quant à ce rapport, elle est évidemment favorable à la hausse des moyens, à l’évolution du statut de repenti et à la spécialisation des acteurs. Au contraire, elle se montre beaucoup plus critique quant à la mise en place d’une procédure de plus en plus dérogatoire et d’une législation spéciale. Par exemple, la loi contre le terrorisme de 2017 est également utilisée pour ce type de problématique et certaines de ses dispositions sont rentrées dans le droit commun. Enfin, la volonté de mettre en place un régime carcéral spécifique ne serait pas satisfaisant, la réelle difficulté reste la surpopulation carcérale. Si un centre pénitencier ne fonctionne pas au-delà de ses capacités, le personnel est largement en mesure de gérer les détenus liés au trafic de stupéfiants (et notamment face à des exécutions de plus en plus fréquentes au sein des établissements).
Plus généralement, la magistrate déplore une vision exclusivement binaire entre, d’un côté, une conception extrêmement répressive selon les mots du ministre de la justice, Eric Dupont Moretti, « les usagers ont du sang sur les mains ». Le coût réel de la lutte contre la drogue est bien trop élevé alors qu’il n’y a que très peu de résultats et que la situation s’aggrave. D’un autre côté, la vision uniquement sanitaire au regard de la dépénalisation ne pourrait suffire. Il faut aboutir à un juste milieu réfléchi et efficient, changer en profondeur la politique pénale. On ne peut plus concentrer les moyens et la répression sur les petits usagers et dealers.
Les opérations place nette qui nécessitent des moyens considérables pourraient davantage être qualifiées d’« opération pichenette ». Ces dernières visent uniquement le « prolétariat » des stupéfiants et la petite main d’œuvre qui est très vite remplacée. Par ailleurs, les conséquences sont toujours semblables, les « petites » arrestations conduisent à la case prison alors que la surpopulation y est dramatique. Cela représente 95 % des procédures. Depuis la loi de 2016, il est également possible, pour un policier, de prononcer une amende forfaitaire délictuelle (parmi les délits concernés : la conduite sans permis, la conduite d’un véhicule sans assurance, l’usage de stupéfiants, l’occupation illicite d’un hall d’immeuble), en dehors d’un procès, qui sera par ailleurs inscrite sur le casier judiciaire. La défenseure des droits demande la suppression de ce type d’amende qui entraîne des discriminations, se soustrait au regard du juge, reste très inefficace et dans les faits, fait augmenter la récidive. En effet, si un individu a reçu une amende forfaitaire délictuelle, une deuxième interpellation signifie déjà un cas de récidive. De façon générale, cela participe de l’aggravation de la pénalité.
Jérome Durain, Président de la commission d’enquête du Sénat, dépeint une véritable asymétrie dans le domaine très gangréné du trafic de stupéfiants et notamment quant à la question des informations à disposition. Il met l’accent sur d’un côté, les moyens illimités des trafiquants et de l’autre, les petits dealers qui sont en quasi esclavage. Le rapport du Sénat s’appuie sur la réalité et la gravité du trafic. Beaucoup de gens dealers sont hors de France. Le but n’est pas de faire un trafic acceptable mais d’éviter les meurtres. On ne peut pas y arriver en sanctionnant les consommateurs ni par la légalisation. Il y a une gabegie du traitement du trafic. Il va falloir taper fort sur des gens qui sont très organisés. C’est la misère du service public face au trafic. Dans le rapport, nous préconiseront un parquet spécialisé dans le trafic. Il justifie notamment la nécessité des procédures dérogatoires en raison de ce pouvoir très étendu et sauvage des gros trafiquants. En outre, ces derniers utilisent des messageries cryptées qui ne permettent pas, plus, de maîtriser l’information. Les forces de police sont largement dominées et la misère actuelle du service public de la police, de la justice et des douanes n’est pas en mesure de relever le défi. Il est également favorable au débat sur la dépénalisation.
Ouassila Benhamdi, présidente de l’Association « Conscience », association des familles de victimes de « narchomicide » est aussi la mère d’une jeune victime du narcotrafic qui a été retrouvé mort à Marseille. Elle explique que pour la police et la justice, les familles sont considérées comme des délinquants. De plus, les journalistes ne font que peu de cas de ces victimes et usent de gros titres, pour son fils, ils ont parlé de « barbecue ». Le commanditaire de la mort de son fils est à Dubaï et même s’il est arrêté, il n’a que peu de risques d’être condamné pour meurtre.
Elle évoque encore les sujets complètement absents de logement et de soutien psychologique. Elle fait part à l’assistance de sa grande solitude dans cette situation.
Un conseiller municipal de la ville d’Arcueil, ajoute que le trafic de stupéfiants est partout et près de Paris, les points de deal sont pratiques. Il est difficile pour un immeuble et pour un quartier de voir circuler toute la journée, la nuit, des motos, des voitures, venues chercher des produits. A Tours, il y a une seule voiture de police la nuit qui a d’autres problématiques à gérer. Parfois, on enlève la tête et en quinze jours, elle est vite remplacée. La prévention est très difficile et les dealers de base sont bien rémunérés. Les opérations de police viennent surtout aggraver la casse sociale d’un quartier, entraîne de futurs règlements de compte entre les habitants et posent aussi la question des logements sociaux financés par les trafiquants.
Interventions de la salle : quelqu’une évoque l’incendie de Nice au début de l’été lié au trafic de drogue. Quelqu’un parle de Marseille : il faut envisager autre chose et éviter de tomber dans la surenchère répression-légalisation. Quelqu’une adjointe à la politique de la ville à Bordeaux affirme qu’il faut plus de police de proximité et pénale. Autre question : Il faut s’attaquer aux flux financiers : comment peut-on faire ? Que propose-t-on aux jeunes qui font du trafic ? Les logements sociaux sont souvent payés par l’argent de la drogue. Il y a une réelle difficulté de l’accompagnement social des gens en difficulté.
Jérome Durain rappelle en avançant le sujet de la corruption dans l’ensemble des services publics en raison du narcotrafic et notamment au niveau des douanes et des ports. La numérisation et la publicité rendent encore plus délicats la lutte contre les trafiquants. L’ensemble du système de la drogue se comprend au regard de la misère sociale de nos territoires. Il faut dégager la justice et la police de l’ensemble. Il faut insister sur l’importance de l’éducation et de la prévention. D’une manière plus générale il faut se poser aussi la question de la place des drogues dans la société. Il y a très peu de débats sur ce sujet de société. Pourquoi pas une idée de Grenelle du trafic de drogue pour des solutions policières judiciaires et préventives.
Guy Benarroche conclut le fait que la baisse des consommateurs n’entraine en rien la baisse des vendeurs et a fortiori des trafiquants. C’est le trafic en lui-même et l’offre qui génère la demande. Les trafiquants achètent des franchises comme n’importe quelle entreprise privée, à la seule différence que s’ils n’achètent pas financièrement, ils passent par le règlement de compte. La situation du narcotrafic aujourd’hui reflète la période avant la mise en place du droit du travail et de la protection des travailleurs. Une des solutions réellement efficaces tient dans la confiscation des biens et le contrôle des flux. Le trafic de drogue, c’est 6 milliards de chiffre d’affaires et 200 000 personnes qui travaillent pour ce trafic. Les jeunes sont menacés s’il manque des produits qu’ils doivent rembourser. Des fois pour gagner des parts de marché des jeunes employés par d’autres sont tués. Guy Benarroche pense qu’on est loin du problème réel qui est posé, on n’en a pas conscience. Le gouvernement n’a rien sur ce sujet, aussi le Sénat fera une proposition de Loi.
Suite à cet atelier, cette proposition de la commission d’enquête du Sénat confirme l’urgence qui est de s’attaquer aux véritables commanditaires de ces actions criminelles. C’est une véritable réponse politique qui doit être apportée face à ce danger qui peut toucher tous les territoires en France. Avec la mise en place de réformes structurelles, judiciaires et une coopération Européenne et Internationale.