La désobéissance civile reste-t-elle une voie de résistance possible face aux dérives autoritaires ?
La commission justice des Ecologistes a co-organisé durant les journées d’été des Ecologistes 2024 à Tours un atelier sur la désobéissance civile. Voici son compte-rendu.
Avec Mathilde Larrère, historienne et autrice d’ouvrages sur les différentes formes de résistance à travers l’histoire ; Swan, activiste de Riposte alimentaire ; Fab, juriste à Riposte alimentaire ; Sophie Bussière, avocate et porte parole nationale des Écologistes.
Animé par Katia Bourdin, conseillère régionale Les Ecologistes de Nouvelle-Aquitaine, et Kévin Gernier, co-responsable de la commission justice des Ecologistes.
Katia Bourdin : Quand le pouvoir bâillonne les associations, quand il devient sourd aux alertes des scientifiques et assimile les militants écologistes à des terroristes pour légitimer l’inaction, que faire ?
Manifestations interdites, arrestations préventives, gardes à vue abusives, procès bâillon, la restriction des libertés publiques à l’encontre des militants écologistes questionne. Parallèlement, ces derniers mois, on observe un vent de relaxes dans de nombreux tribunaux français pour des activistes de plusieurs collectifs. Depuis le début de l’année 2024, à 10 reprises, les juridictions françaises ont prononcé des relaxes pour des prévenus à Nantes, La Rochelle, Lyon, Cherbourg, Grasse, Besançon, Nanterre en 1ere mais aussi en 2eme instance.
Le 28 février 2024, le rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs de l’environnement a publié un rapport mettant en évidence que « le niveau de répression politique, policière et judiciaire contre les défenseurs de l’environnement, dans plusieurs pays européens est alarmant » et ce, notamment en France. Sommes-nous dans une dérive illibérale aujourd’hui en France?
Swan : Oui, il est aujourd’hui plus simple d’aller à une manifestation d’extrême droite à Paris que de protester contre un génocide à Gaza. Les réponses policières contre les activistes écologistes sont disproportionnées. Nous allons aux manifestations à visage découvert pour montrer que la culpabilité n’est pas de notre côté mais bien de celui de l’État en raison de ses violences systémiques. Le 22 mars 2023, à l’occasion de la campagne de rénovation thermique des bâtiments de l’association Dernière rénovation (aujourd’hui nommée Riposte alimentaire), cinq militants, dont moi, aspergeons la préfecture de peinture à l’eau. En réponse, 5 camions de police interviennent de façon musclée et s’ensuit une garde à vue accompagnée de menaces et de conditions plus que préoccupantes (pas d’accès suffisant à de l’eau, les gardés à vue se sont vus empêcher de dormir, interrogatoires à la chaîne, entreprise de « casser » le moral). La garde à vue punitive n’est pourtant pas légale, nous avons été traités comme si nous n’étions plus des êtres de droit. Le procès qui a suivi s’est globalement bien déroulé, mais il faut relever un double standard dans la réponse judiciaire : les militants « écoterroristes » sont systématiquement poursuivis devant les tribunaux, et les individus ayant participé à des destructions de biens lors des manifestations d’agriculteurs ne sont pas poursuivies.
Mathilde Larrère : Il faut d’abord dresser un historique des modes d’actions non légaux. Au 19ème siècle, ni la liberté de réunion, ni la liberté de manifestation ne sont reconnues. Les citoyens utilisent donc d’autres événements comme les enterrements, les banquets…pour contourner ces interdictions légales. Les femmes, ne pouvant voter ni être élues, se portaient tout de même candidates puisqu’il existait un vide juridique sur ce point. C’est en 1866 qu’apparaît véritablement la notion de « désobéissance civile ». Il pouvait s’agit de ne pas payer l’impôt dans un État esclavagiste, du refus d’être recensé pour les femmes (« puisqu’on ne compte pas »), des avortements clandestins organisés par le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception, du refus de partir à la guerre, des graffitis, de l’occupation pacifique d’un lieu, de la grève de la faim…
La désobéissance civile peut-elle se comprendre comme un devoir du citoyen ? L’article 35 de la Constitution de 1793 proclame « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » . Se pose la question de l’articulation entre le légal et le légitime. Alors que le légal est contextualisé, par exemple la liberté de réunion, le légitime renvoie t-il au droit divin ? Au droit humain ? Au droit environnemental ? L’objectif étant d’établir l’illégitimité du légal pour démontrer l’illégalité du légitime…
Qu’en est-l de l’utilisation des lois d’exception relatives au terrorisme quant au domaine de la désobéissance civile ? Il existe une matrice liberticide dans notre République qui a adopté des lois d’exception en série : par exemple, en 1793 avec la Ière République, en 1893 lors de la IIIème République avec la loi contre les anarchistes, la loi de 1955 sur l’État d’urgence, la loi de 1963 sur l’OAS qui a servi à réprimer tous les indépendantistes, la loi de 1990 et les anticasseurs, la loi de 1985 en Nouvelle-Calédonie, la loi de 2005 et les banlieues.. Toutes ces lois sont votées dans une situation comparable, après un événement traumatique et en arguant que le droit n’est pas adapté et qu’il nécessite donc de nouvelles dispositions, ces lois s’inscrivent finalement en majorité dans la durée. Il faut pourtant garder à l’esprit que le droit fondamental est un droit à la sûreté et non à la sécurité.
Kévin Gernier : Il existe en droit pénal français la notion de « faits justificatifs » qui peut permettre d’obtenir une relaxe après une action de désobéissance civile, pouvez-vous nous en parler ?
Fab : Un fait justificatif est un ensemble de circonstances objectives qui peut justifier de commettre une infraction car le bénéfice pour la société est supérieur au tort commis. Le plus connu des faits justificatifs est la légitime défense. Il en existe deux autres qui peuvent être invoqués en cas de désobéissance civile : l’état de nécessité et l’entrave à la liberté d’expression. Le raisonnement juridique pose d’abord la question de la reconnaissance de l’infraction (par exemple une dégradation de biens), si les éléments constitutifs de l’infraction sont bien réunis, on pose la question des faits justificatifs. Si ces derniers existent, le juge peut conclure à une irresponsabilité pénale.
L’état de nécessité a été reconnu pour la première fois en 1898 lorsqu’une mère a volé du pain pour ses enfants malnutris. Le vol est constaté mais le juge ne l’a pas condamné reconnaissant l’impérieuse nécessité de commettre le délit pour nourrir ses enfants. L’état de nécessité est possible si trois conditions cumulatives sont remplies :
le danger doit être actuel ou imminent pour un bien ou une personne
- l’acte de réponse doit être nécessaire afin de sauvegarder la personne ou le bien
- l’acte de réponse doit être proportionné entre la mesure et l’objectif à atteindre
Le deuxième fait justificatif, la liberté d’expression, est notamment protégée par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La condamnation d’une infraction commise pour exprimer de façon légitime une opinion politique peut constituer une entrave à cette liberté, et la CEDH peut donc demander à la justice nationale de ré-examiner sa condamnation. De la même façon que pour l’état de nécessité, le juge constate d’abord l’infraction puis, il pose la question de savoir si les poursuites engagées ne constituent pas une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux et en particulier à la liberté d’expression. Dans l’affirmative, aucune peine n’est prononcée.
Kévin Gernier : Faut-il utiliser son procès comme tribune médiatique pour la cause politique défendue par l’action de désobéissance civile ? Cela ne risque-t’il pas d’agacer le juge ?
Sophie Bussière : Je suis plutôt favorable aux « procès tribune », associant notamment des personnalités politiques et publiques, des élus, des témoins, des experts comme des membres du GIEC. Ce type de procès est un prolongement de l’action, une autre forme de lutte et s’accompagne généralement d’une couverture médiatique sérieuse.
Kévin Gernier : Le discours politique de l’exécutif sur « l’éco-terrorisme » visant à criminaliser les activistes peut-il influencer le pouvoir judiciaire qui est indépendant en théorie ?
Sophie Bussière : Le discours du ministre démissionnaire de l’intérieur, Gérald Darmanin, a pour objet de faire peur à la population et en même temps, d’ « intimider » le parquet. On peut constater des inégalités territoriales suivant les juridictions néanmoins, tous les activistes ayant aspergé les préfectures de peinture à l’eau n’ont pas été poursuivi ou condamnés.