Sous réserve de situations spécifiques prévues par la loi, concernant les seules communes de moins de 3.500 habitants, un élu qui détiendrait un intérêt personnel direct ou indirect, financier ou non, dans une décision à prendre par la collectivité ne peut participer à celle-ci, ni influer sur elle, ni en conserver un contrôle. Il doit dans ce cas, purement et simplement s’abstenir de toute participation à l’élaboration, à la formation, à l’exécution, au contrôle de la décision [l’infraction de prise illégale d’intérêt ne vise pas que la situation des élus; elle est susceptible de concerner également les fonctionnaires, voire même un prestataire chargé d’une mission de service public par une collectivité tel le cas s’agissant d’une procédure de passation des marchés publics de construction d’un Maître d’Oeuvre analysant les offres et les commentant devant les décideurs [Cassation Criminelle, 14 juin 2000, Conseil Général de l’Aisne; bien qu’on ne trouve pas de jurisprudence connue, la prise illégale d’intérêt pourrait également être le fait d’une personne morale de droit privé, voire même de droit public ]].
De ce point de vue, il ne peut pas participer à un vote au sein de l’organe délibérant sur ce dossier, ni même donner procuration, puisqu’il ne doit pas intervenir d’une quelconque manière dans le processus décisionnel [1].
Il ne doit pas participer aux votes ni même aux débats, ni même être présent : Cass. Crim. 19 novembre 2003 02-87336 [ la seule présence de l’élu à la séance de l’organe délibérant d’une collectivité territoriale, dont l’une des délibérations porte sur une affaire dans laquelle il a intérêt , et à la préparation de laquelle il a participé, vaut surveillance ou administration : [Cassation criminelle, 14 novembre 2007 No 07-82220; Cassation, 15 novembre 2000 ; Cassation,19 mai 1999 N°98-80726
]].
L’élu local intéressé (ou encore l’élu local mandataire d’une personne intéressée) à un dossier qui donnerait ne serait-ce qu’un simple « avis favorable » peut être punissable également : cassation criminelle 9 mars 2005 No 04-83615
L’intention coupable est établie du seul fait que le prévenu a accompli sciemment l’élément matériel du délit de prise illégale d’intérêts qui est réalisé par le cumul de fonctions indépendamment de la recherche d’un bénéfice : cass. crim. 4 novembre 2004No 03-84687
.
Poursuites pénales pour prise illégale d’intérêts
L’une des conséquences les plus lourdes de cette situation tient au risque pénal pour l’élu de se voir poursuivi sur le fondement de l’article L 432-12 du Code Pénal aux termes duquel « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende »[par ailleurs, l’article [432-15 du Code Pénal relatif au détournement de fonds publics dispose que : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l’un de ses subordonnés, de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150000 euros d’amende. (..) »en cas de négligences ayant provoqué un tel résultat, l’article 432-16 du Code Pénal prévoit des peines moins lourdes]].
La poursuite pénale pour prise illégale d’intérêts contre un élu est engagée parfois pendant l’exercice du mandat par le Parquet. Elle l’est parfois seulement à la suite d’un changement de majorité, la nouvelle équipe mettant en cause la gestion des anciens élus. Elle peut également être engagée à tout moment dans le cadre de l’action du contribuable agissant au nom de la commune, du département ou de la Région s’y refusant ou le négligeant : voir fiche pratique No 12[pour un exemple d’autorisation d’agir au pénal en ce sens voir notamment : [C.E. 29 juillet 2002 N° 235143 A souligner que l’autorisation de plaider donnée au contribuable étant conditionnée par la défense d’un intérêt matériel pour la Commune, le contribuable ne pourra poursuivre dans ce cadre et en ce qui le concerne, que ceux des délits qui ont causé un préjudice financier significatif pour la Commune :
Conseil d’Etat, 9 novembre 2007, Commune de Puttelange aux Lacs, No 286350 ]].
Quelques cas significatifs issus de la jurisprudence
L’hypothèse la plus fréquemment rencontrée dans les annales judiciaires, est sans doute celle dans laquelle l’intérêt litigieux est un avantage purement et directement pécuniaire, l’élu ayant immédiatement contribué à son propre enrichissement personnel, ou à celui d’une entreprise dont il est le dirigeant de droit ou de fait [pour le recrutement par un maire d’agents techniques affectés en réalité, à son service personnel : [cass. crim. 7 mai 1998 No 97-81102 Levallois Perret]].
L’infraction est également constituée lorsque l’élu a participé à des décisions concernant une entreprise à laquelle il est, par ailleurs, lié dans un lien de subordination en tant qu’agent maritime salarié : cass. crim 9 mars 2005 No 04-83838. Même infraction, lorsqu’un élu président de droit d’une société d’économie mixte locale, et Président d’un Syndicat intercommunal d’adduction d’eau potable participe dans cette dernière structures à des délibérations favorables à la Société d’Economie Mixte [C.A. Toulouse, 21 mai 2000 JCP 2001, IV, 1514]]
Mais, pour autant l’intérêt incriminé n’est pas nécessairement un intérêt matériel immédiat ou même futur et hypothétique, et il peut s’agir d’un simple intérêt moral pour l’auteur de l’infraction, et financier pour le bénéficiaire (recéleur), tel que l’aide apportée par l’élu à un membre de sa famille ou à un ami : participation d’un maire
- à l’ attribution d’un marché à une entreprise gérée par son fils [2]
- à l’attribution d’un marché d’architecte attribué à son gendre [3]
- à la reconduction d’un contrat de travail en mairie au profit de sa fille : Crim. 3 février 1998 97-80639 ;réponse ministérielle 5 mai 2003 [le recrutement par le maire de son épouse en qualité de collaboratrice de son Cabinet est irrégulier : [Cour administrative d’Appel de Nancy,22 avril 2004, Commune de Saint Germain ]]
- à la conclusion d’un contrat d’édition avec une association présidée par le concubin de sa fille laquelle en percevra une rémunération : cassation criminelle, 8 mars 2006, 05-85276
- participation d’un adjoint à une décision de subvention à une association aux fins qu’elle conclue un marché avec une société en difficulté dont le maire est le gérant : Cass. crim. 9 mars 2005
- une décision accordant un permis de lotir à ses trois beaux-frères cassation criminelle, 25 janvier 2006, 05-83559
- participation d’un élu à des décisions favorables à une Société d’Economie Mixte de la collectivité dont il est Président de droit
Il peut s’agir également de l’intérêt moral né de l’aide que l’élu local aura apporté à son parti politique auquel il aura permis de bénéficier d’une mise à disposition gratuite d’agents de la collectivité rémunérés par elle, constituant donc la mise en place d’emplois fictifs [Cour d’Appel de Versailles, 1er décembre 2004, Le monde, 3 décembre 2004 affaire J..]].
L’élu salarié est également exposé lorsqu’il participe à une délibération intéressant son propre employeur[4] . L’infraction serait constituée quand bien même ledit employeur aurait un statut d’association à but non-lucratif [5]. L’intérêt prohibé serait susceptible d’être constitué quand bien même le lien salarial n’existerait plus au moment des faits : annulation d’une décision de la commission d’appel d’offres à laquelle participe avec avis consultatif un ancien salarié du candidat : Tribunal Administratif de Nice, 7 octobre 2005, société Signoret (voir fichier PDF ci-contre)
Contrairement à une idée véhiculée à tort, l’élu est punissable du simple fait de sa participation à une décision prise collectivement, notamment en tant que membre du conseil municipal [ [Cassation criminelle, 24 octobre 2001, 00-86681 ; c’est la participation à chaque délibération du Conseil municipal qui constitue l’acte de surveillance et donc l’infraction lorsque les actes sont individualisables Cassation criminelle, 4 avril 2001, Bull No 93 ]].
Pour autant, le chef de l’exécutif est par définition plus exposé que les autres élus, dans la mesure où il ne peut moins que personne, déléguer certaines de ses fonctions. Ainsi pour le Président d’un Conseil Général qui ne peut déléguer la surveillance des marchés publics : « dès lors que le président du conseil général a seul l’administration de l’ensemble des affaires du département, en application de l’article L. 3221-3 du Code général des collectivités territoriales, notamment celles relevant de ses pouvoirs de préparation et d’exécution des décisions de la commission d’appel d’offres qu’il préside » :cassation Criminelle, 9 février 2005 No 03-85697.
La question de savoir si la Collectivité a subi ou non un préjudice n’est pas déterminante, et la poursuite est recevable alors même que le Maire aurait agi dans l’intérêt patrimonial de celle-ci [Tribunal Correctionnel de Poitiers, 19 mars 1980, semaine juridique, 1980, II, 19409 note de Lestang]]
Il est constant que pour les Tribunaux, et contrairement à une idée reçue, « le délit se consomme par le seul abus de la fonction, indépendamment de la recherche d’un gain ou de tout autre avantage personnel« [6]. La quête d’un « enrichissement personnel » n’est donc pas une condition nécessaire de la poursuite, mais peut seulement constituer un élément de nature à influer sur le quantum de la sanction pénale dans le sens d’une « application modérée » de la loi pénale, voire même d’un « classement sans suite » (voir notamment réponse ministérielle du 8 juin 2006 en fichier pdf ci-contre.
Radiation de la liste électorale, inéligibilité, démission d’office
Une conséquence directe de cet abus de fonctions est celle issue de l’article L7 du Code Electoral aux termes duquel « ne doivent pas être inscrites sur la liste électorale, pendant un délai de 5 ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les personnes condamnées pour l’une des infractions prévues par les articles 432-10 à 432-16 (..) ».
L’article 199 du code électoral dispose concernant les élections municipales (mais aussi les élections régionale par renvoi de l’article L 340), que » Sont inéligibles les personnes désignées aux articles (..) L. 7 (..) ».
L’élu intéressé à une décision qui se sera néanmoins associé à celle-ci, sera donc s’il est poursuivi et condamné pénalement, radié des listes électorales pendant 5 ans, et en conséquence, inéligible.
S’il est encore élu au moment ou la décision de condamnation devient définitive, il est démis d’office par le Préfet en application de l’article 236 du code électoral (voir sur ces questions la fiche pratique No 65).
L’article 132-21 du code pénal ouvre toutefois la possibilité pour la juridiction qui prononce la sanction de relever en tout ou partie, la personne condamnée des interdictions qui sont attachées de plein droit à sa condamnation.
Annulation administrative de la décision
Une autre conséquence d’une telle situation serait que la décision ainsi prise pourrait faire l’objet d’un recours en annulation devant le juge administratif pour violation de l’article L 2131-11 du C.G.C.T. aux termes duquel « sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du Conseil intéressé à l’affaire qui en a fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataire » [Voir notamment : [C.E. 30 décembre 2002, Association Expression Village]] .
Il convient toutefois de souligner que les juridictions administratives peuvent parfois faire une application moins stricte de cette disposition qu’on pourrait l’attendre à la première lecture des textes, étant souligné, bien que cette condition n’est pas clairement prévue par la Loi, qu’elles peuvent dans la pratique, ne pas procèder à l’annulation de la délibération s’il n’est pas établi que la participation de l’élu intéressé a eu une influence sur le résultat du vote[ non influence sur le résultat de la présence et la participation à un vote sur un programme cadre traitant des déchets d’un élu « intéressé » en tant que Président de la Compagnie en charge de la gestion de l’usine de traitement des déchets :
[C.E. 11 octobre 1999A..]]. Des élus président et membres du Conseil d’Administration d’une association gestionnaire d’une maison de retraite et donc « poursuivant des intérêts qui ne se confondent pas avec ceux de la généralité des habitants de la commune » seront regardés comme intéressés à la délibération qui accorde une garantie d’emprunt à celle-ci, et leurs votes ayant influencé le résultat, bien qu’obtenu à l’unanimité, la délibération est dans ce cas annulée : C.E. 9 juillet 2003 Caisse rurale de crédit agricole mutuel de Champagne [Jugé concernant la formation d’une commission d’appel d’offres, et sur l’impartialité de l’un de ses membres : « Si la société requérante soutient que la participation à la commission d’appel d’offres d’un de ses anciens salariés qu’elle avait licencié en 1991 n’a pas permis qu’elle soit traitée à égalité avec les autres candidats, l’intéressé a toutefois siégé à la commission en sa qualité d’élu local. Eu égard notamment au délai important qui s’est écoulé depuis son licenciement et à l’absence de toute allégation précise permettant de mettre en doute son impartialité, la composition de la commission d’appel d’offres n’a pas constitué en l’espèce un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ». Conseil d’Etat (5e et 7e sous-sect.), 27 juillet 2001 SOCIETE DEGREMONT. Voir aussi, bien que déjà ancienne, la [thèse de Eric Landot : l’intérêt personnel des élus locaux en droit administratif français, 2000, Paris II ]].
(gpecheu@online.fr)
ANNEXE 1 : LETTRE-TYPE AU MAIRE AUX FINS D’ANNULATION D’UNE DELIBERATION A LAQUELLE A PRIS PART UN ELU INTERESSE ET DE SAISINE DU SERVICE CENTRAL DE PREVENTION DE LA CORRUPTION
Mme M. le Maire,
Lors de la séance en date du …, il a été procédé à un vote concernant …
Or, a participé à ce vote (à la préparation de ce vote, à l’exécution de cette décision etc ..), Monsieur DURAND-DUBOIS alors que cet(te) élu(e) est intéressé à cette délibération en sa qualité de (dirigeant de droit, associé, dirigeant de fait, parent, salarié, partenaire, ami proche, créancier, débiteur, etc ..).
Cette délibération doit en conséquence être annulée en application
de l’article L 2131-11 du C.G.C.T. aux termes duquel {« sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du Conseil intéressé à l’affaire qui en a fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataire ».
Je vous invite par ailleurs à saisir pour avis, le service central de prévention de la corruption de ce dossier[les rapports annuels du Service Central de Prévention de la corruption sont consultables sur le site du [Ministère de la Justice ]].
Conformément à l’article 19 de la Loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations,
je vous remercie de bien vouloir accuser réception de ma demande dans le délai d’un mois.
Dans l’attente, etc .. }
ANNEXE 2 : LETTRE-TYPE AU PREFET AUX FINS DE DEFERE D’UNE DELIBERATION A LAQUELLE A PRIS PART UN ELU INTERESSE
Mme Mr le Préfet,
Lors de la séance en date du …, il a été procédé à un vote concernant …
Or, a participé à ce vote (à la préparation de ce vote, à l’exécution de cette décision etc ..), Monsieur DURAND DUBOIS alors que cet(te) élu(e) est intéressé à cette délibération en sa qualité de (associé, parent, salarié, partenaire, etc ..).
Cette délibération doit en conséquence être annulée en application
de l’article L 2131-11 du C.G.C.T. aux termes duquel « sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du Conseil intéressé à l’affaire qui en a fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataire ».
Je vous invite par la présente à déférer cette délibération(voir fiche pratique No 87).
Conformément à l’article 19 de la Loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations,
je vous remercie de bien vouloir accuser réception de ma demande dans le délai d’un mois.
Dans l’attente, etc ..
ANNEXE 3 : POUR EN SAVOIR PLUS
POCHARD Marcel, « responsabilité des élus », Jurisclasseur administratif, fasc. 812
.
[1] Cass. crim. 10 avril 2002, Bull. crim. No 84
[2] [Cass. crim. 3 mai 2001, No 00-82880
[3] cass. crim. 29 septembre 199998-81796
[4] [cass. crim 9 mars 2005 No 04-83838
[5] Cass. Crim 10 avril 2002, Fos sur mer ; Le Conseil d’Etat quant à lui, apprécie au cas par cas l’influence ou non de l’élu salarié sur les votes : annulant la délibération : Conseil d’Etat,16 décembre 1998, commune de Rennes-les-Bains
[6] Cass. Crim. 2 novembre 1961, Bull. Crim. 438 ; voir également pour l’infraction commise par un fonctionnaire nommé par Décret dans le cadre d’un cumul de fonctions et d’un bénévolat sans profit personnel [cass. crim. 4 novembre 2004
P.S. :