Monsieur le Président
Monsieur le Premier ministre
Messieurs les rapporteurs, chers collègues
Nous avons éprouvé la même émotion lors des attentats de janvier dernier. Cette émotion ne peut pas néanmoins être la seule boussole au moment où nous légiférons.
La nécessité d’un encadrement de l’activité des services de renseignement n’est dans cette assemblée nullement contestée : la France accuse en effet un grand retard par rapport aux autres démocraties occidentales.
Les services de renseignement disposent aujourd’hui de moyens juridiques morcelés, issus d’une lente sédimentation de dispositions législatives sans cadre général.
La nécessité de légiférer est donc une réalité. Mettre un terme aux pratiques illégales, offrir un cadre normatif opérationnel et respectueux des libertés est notre mission.
Mais cette nécessité ne justifie aucunement le recours à la procédure accélérée ?
Pourquoi préférer au grand débat citoyen et parlementaire, une discussion et un vote au pas de charge ?
Un travail législatif de qualité suppose comme l’a si souvent rappelé le président de la commission des lois de consacrer à l’élaboration de la loi un temps suffisant, qui permette un dialogue constructif avec la représentation nationale, avec l’ensemble des composantes de la société.
Il s’agit d’éclairer les politiques publiques à venir. Il s’agit de travailler en toute sérénité, loin de l’emprise de l’émotion.
Ce n’est que quelques mois après l’entrée en vigueur de la loi de 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme consécutive à l’affaire Nemmouche, et peu après deux autres lois, de 2012 et 2013, consécutives, elles, à l’ affaire Merah, que nous avons débattu du texte sur le renseignement.
Il s’agit d’encadrer les activités de renseignement, a martelé le gouvernement.
Il s’agit de légaliser des pratiques illégales mais tout à fait courantes, a-t-il ajouté.
Sans pour autant se donner la peine d’évaluer l’efficacité de ces pratiques. Sans pour autant présenter, dans son étude d’impact succincte, et d’une pauvreté manifeste, le moindre chiffrage de la mise en place des modalités techniques du recueil du renseignement, sans jamais s’interroger sur les conséquences économiques des dispositions proposées sur l’industrie numérique, sans vraiment non plus analyser les dysfonctionnements et les échecs des services de renseignement dans la lutte contre le terrorisme.
Le texte suscite débats, inquiétudes et critiques dans cet hémicycle et dans la société, qu’on ne peut pas balayer d’un simple revers de main par la simple invocation aux impératifs de sécurité. Car ce texte concerne tout autant notre sécurité que nos libertés fondamentales, notre vie privée même, il touche en effet des pans très larges de la vie sociale, économique, politique et même la présence française dans le monde.
Il encadre, pas assez, pas suffisamment, mais il autorise aussi l’intrusion, la surveillance, le fichage, et ce très largement, trop largement, et non pas dans le seul but de prévenir la menace terroriste.
Il va bien au-delà puisqu’il permet aux services de renseignement de recourir à des techniques de recueil d’information à la fois de grand ampleur et très intrusives pour la défense et la promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques du pays, pour prévenir des atteintes à la forme de républicaine des institutions, il autorise d’autres services que ceux du renseignement à recourir à ces mêmes techniques, il assigne à l’administration pénitentiaire contre la volonté même du gouvernement des missions qui lui étaient étrangères jusqu’à aujourd’hui.
Il met en place la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, dont l’avis n’est que consultatif, et qui pourra être contournée en cas d’urgence, sans que l’urgence elle-même soit définie.
Le recours pour tout citoyen voulant contester des opérations de surveillance dont il serait l’objet est pour le moins virtuel, et disparaît de fait lorsqu’il s’agit de communications avec l’étranger.
Le texte habilite le recours à des techniques (sondes, algorithmes, IMSI-Catcher), permettant la collecte de données d’une très grande ampleur sur les réseaux de communication, puisque c’est l’ensemble du trafic qui sera concerné.
« il s’agit de permettre de collecter de manière systématique, généralisée et indifférenciée un volume important de données, qui peuvent, le cas échéant, être relatives à des personnes totalement étrangères à la mission du renseignement. »
Les services de renseignement pourront utiliser des techniques intrusives ( IMSI-catcher ) pour récupérer les données techniques de connexion et de manière exceptionnelle, sans que soit définie l’exception, sans aucune précaution particulière et sans limitation à la seule menace terroriste, des correspondances pourront être également recueillies.
Nul ne vous accuse ici, Monsieur le Premier ministre, de vouloir mettre en place une surveillance de masse, mais les techniques que le texte autorise permettent cette surveillance sur l’ensemble des activités sociales.
L’article 10 introduit une forme d’immunité pénale, tout à fait contestable, pour les agents opérant à l’étranger.
Le texte rallonge sans justification la durée de conservation des données. Il crée un fichier terroriste, dont les dispositions n’ont été connues des parlementaires que la nuit précédant son adoption.
Imaginons un instant ce qu’un autre gouvernement que le vôtre Monsieur le Premier ministre pourrait faire de ce si grand pouvoir que vous octroie aujourd’hui ce texte.
Pour les raisons que je viens de présenter, la grande majorité du groupe écologiste a décidé de voter contre ce projet de loi.
Le débat en notre sein n’a pas opposé des chipoteurs d’un côté et des liberticides de l’autre, des inconscients d’un côté et des patriotes de l’autre.
Il a réuni des parlementaires conscients de la responsabilité qui leur incombe d’assurer à la fois la sécurité de nos concitoyens et la défense de leurs libertés fondamentales, la protection de leur vie privée dans le respect de l’état de droit.