Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, « une justice digne de ce nom, non payée, non achetée […], sortie du peuple et pour le peuple » : c’est ainsi que Michelet définissait l’idéal révolutionnaire de 1789. C’est cet idéal que nous n’avons cessé de poursuivre, pour libérer les hommes et les femmes du despotisme, de l’arbitraire et de l’injustice, car nous savons tous que l’indépendance de la justice est un des marqueurs de la vitalité d’une démocratie.
Il n’y a pas de démocratie sans justice. Les révolutionnaires l’avaient compris, qui instaurèrent, d’une part, la séparation des pouvoirs, le principe d’égalité devant la justice et sa gratuité, la présomption d’innocence, la légalité des infractions et des délits, et supprimèrent, d’autre part, les juridictions seigneuriales.
L’énonciation de ces principes est en soi insuffisante. La justice n’est justice que parce que des hommes et des femmes se mettent en danger pour elle ; la justice n’est justice que parce que sont mis en place des organes dont le rôle et la composition font vivre son indépendance.
Aujourd’hui encore, la justice devrait être, pour chaque citoyen, ce pouvoir gardien des libertés. Pourtant, même ici, elle ne cesse d’être contestée, et sans doute est-ce en partie liée à l’ombre portée de la politique. En effet, ces dernières années, le lien entre politique et justice, notamment dans certaines affaires qui ont défrayé la chronique, est apparu trop étroit, la perte de confiance en l’une renforçant la perte de confiance en l’autre. De cette proximité incestueuse ne peut naître que le désamour des citoyens pour la démocratie et la République.
La multiplication des affaires a mis en évidence la tentation de certains responsables politiques, parfois au plus haut sommet de l’État, d’une justice aux ordres ou, pire, d’une justice à deux vitesses : faible avec les puissants, implacable avec les faibles.
Cette situation est devenue insupportable aux yeux de nos concitoyens. Le sentiment d’une justice entravée, manipulée ou empêchée se traduit par un affaiblissement de la démocratie.
Comme l’a rappelé la garde des sceaux, l’indépendance de la justice est un objectif que nous assigne notre Constitution même. C’est aussi un des engagements du Président de la République et de la majorité.
Nous savons que cette indépendance a été et reste un combat. Les pressions contre les juges qui ont instruit les affaires financières au cours des années quatre-vingt-dix et, plus récemment, les attaques dont a été l’objet le juge Jean-Michel Gentil de la part de nombreux parlementaires démontrent que l’institution judiciaire doit être protégée et son indépendance garantie.
Je le dis haut et fort, au nom des écologistes, l’intrusion politique dans les affaires de la justice est intolérable et n’est pas digne d’une démocratie !
En période de crise plus que jamais, il faut opérer un retour à l’éthique, au sens des limites, au respect des règles. Il nous fallait surtout, et c’est l’opération à laquelle se livre aujourd’hui le Gouvernement, garantir et renforcer l’indépendance de la justice, de la magistrature et de son organe principal, le Conseil supérieur de la magistrature, qui concourt, ou veille, à son indépendance.
Le présent projet de loi s’inscrit dans cet esprit. Jusqu’en 1993, tous les membres du CSM étaient désignés par le pouvoir politique. À partir de cette date, les magistrats siégeant au Conseil sont élus par leurs pairs. La réforme constitutionnelle de 2008 a permis de nouvelles avancées, notamment en retirant la nomination de la présidence du CSM au Président de la République.
Cette réforme doit par ailleurs nous conduire à nous interroger sur le maintien de l’alinéa 1 de l’article 64 de la Constitution. Comment en effet le Président de la République peut-il rester seul garant de l’indépendance de la justice, alors que nous envisageons une réforme qui le ramène à un statut juridique plus ordinaire – j’allais dire plus normal ?
La réforme constitutionnelle de 2008 tendait à préserver le poids de l’exécutif via la nomination de six personnalités extérieures. Par ailleurs, ainsi que l’a souligné Mme la garde des sceaux, l’interprétation de cette réforme par le Conseil constitutionnel a dénié au CSM la faculté de s’autosaisir.
Le projet du Gouvernement s’attache donc à réformer les points suivants : composition du Conseil supérieur de la magistrature, nomination de ses membres, fonctionnement et compétences.
Nous saluons ce qui constitue à nos yeux une avancée réelle, à savoir la parité entre magistrats et non magistrats au sein du CSM, mais également, grâce à l’un des amendements écologistes proposé en commission, la parité entre hommes et femmes, qui devrait normalement être adoptée, si j’en crois nos discussions en commission.
En évitant le double écueil de la prééminence des magistrats, qui laisse toujours un soupçon de corporatisme, ou de celle des personnalités extérieures, avec les craintes d’une mainmise politique sur la justice, cette parité permettra au CSM d’acquérir la légitimité qui lui a parfois fait défaut.
Les membres non magistrats ne seront plus désignés par l’exécutif, mais par un collège dont le choix des membres, désignés au titre de leur fonction, reflète la volonté d’indépendance de la justice et garantit la légitimité des décisions : il s’agit du vice-président du Conseil d’État, du président du Conseil économique, social et environnemental, du Défenseur des droits, du Premier président de la Cour de cassation, du procureur général près la Cour de cassation, du Premier président de la Cour des comptes ainsi que d’un professeur des universités. Les écologistes sont heureux qu’à ce collège soit également associé le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
Ces organismes dont s’est doté l’État disposent d’une réelle légitimité aussi bien en termes de représentation des corps sociaux, qu’en termes d’expertise, chacun dans leur domaine.
La parité entre femmes et hommes est également une nécessité : les femmes représentent 60 % de la magistrature mais moins d’un tiers des membres du CSM. Ce n’est plus acceptable et nous saluons les avancées faites en commission.
Nous saluons également la possibilité désormais offerte au CSM de se saisir d’office des questions relatives à l’indépendance de l’autorité judiciaire et à la déontologie des magistrats. Nous avons déposé un amendement visant à ce que les magistrats puissent également saisir cet organisme, y compris sur les questions d’indépendance.
Enfin, ce projet de loi constitutionnelle vise à renforcer l’impartialité du parquet, en prévoyant que la nomination des magistrats du parquet soit subordonnée à l’avis conforme du CSM. Il s’agit là d’une disposition essentielle. Aucune nomination d’un magistrat du parquet n’est intervenue après un avis défavorable rendu par le CSM entre 1997 et 2002, ou depuis 2008. Encore s’agissait-il de graver cette règle dans le marbre. Nous pouvons nous féliciter que cela soit presque chose faite.
Les écologistes proposent également d’élargir la disposition relative aux nominations des magistrats du parquet aux magistrats du siège. Les nomination aux postes les plus importants du parquet font régulièrement l’objet de polémiques, ce que nous devons à tout prix éviter, y compris dans le cas du poste de procureur de la République financier que le Gouvernement souhaite instituer.
Ce texte est une étape importante pour la justice française. Mais il semble nécessaire d’accélérer la marche, notamment pour donner aux magistrats du parquet les mêmes garanties qu’aux magistrats du siège. Le parquet français a des pouvoirs trop étendus, ce qui rend indispensable ce rééquilibrage.
« Il se passera du temps encore avant que la justice des hommes ait fait sa jonction avec la justice », disait Hugo. C’est ce but que nous poursuivons aujourd’hui, et j’espère que nos débats seront à la hauteur, et que la proposition de réforme constitutionnelle qui nous est ici soumise recevra l’assentiment de cette assemblée, avant celle du Congrès, en juillet prochain.