Aucun chiffre ne permet à lui seul d’embrasser la réalité de la récidive : c’est un risque très variable, moins de 0,5 % pour les meurtriers, 75 % pour les voleurs agissant sans violence. Le garde des sceaux, Pascal Clément, a buté sur cette difficulté en livrant, le 27 septembre, un chiffre faux sur le nombre de condamnés potentiellement récidivistes auxquels pourrait être imposé le bracelet électronique.Le chercheur du CNRS Pierre Tournier, auteur avec Annie Kenzey des principales études statistiques françaises sur la récidive ( Le Monde du 29 juin), a démontré que les comptes du ministre de la justice étaient complètement erronés. « Quand vous avez 55 000 détenus (…), que vous avez grosso modo 40 % de ces détenus qui sont en prison pour délits ou crimes sexuels, même si la statistique est de l’ordre de 2 % à 2,5 % de récidivistes potentiels, vous vous apercevez que c’est 600 à 800 détenus qui, une fois dehors, pourraient commettre un nouveau crime sexuel« , avait affirmé M. Clément sur France-Info. Le nombre d’agresseurs sexuels susceptibles de récidiver dans les cinq ans suivant leur sortie de prison s’établit en réalité à 40 par an.
La première erreur procède du calcul lui-même : un taux de 2,5 % de récidivistes parmi 40 % de détenus auteurs d’infractions sexuelles, sur une population emprisonnée de 55 000, donnerait 550 personnes potentiellement concernées et non de 600 à 800. Mais le nombre des détenus, au 1er septembre, s’établissait à 56 600. Parmi eux, on ne comptait pas 40 %, mais 20 % de condamnés pour infractions sexuelles. « La proportion de personnes détenues plus précisément pour « viols et autres agressions sexuelles » n’est connue que pour les condamnés » , précise M. Tournier, « et elle s’établit à 20,8 % au 1er juillet. »
La troisième erreur vient du taux de récidive. Le taux de nouvelles condamnations pour crime, cinq ans après la libération, est de 1 % pour les sortants de prison initialement condamnés pour viols et autres agressions sexuelles criminelles sur mineur, et de moins de 0,5 % pour les auteurs d’agressions délictuelles sur mineurs. « Nous n’avons pas de données sur les condamnés pour viols et autres agressions sexuelles sur majeur » , poursuit le chercheur, mais ils représentent moins de 30 % de l’ensemble des détenus condamnés pour ces motifs. M. Tournier retient donc le taux de 1 %. Ce qui donne donc : 56 600 × 20 % × 1 % = 113 personnes.
STOCKS ET FLUX
En retenant un taux de 2,5 %, fourni par la sous-direction statistique du ministère de la justice, le garde des sceaux évoque, en fait, la part des condamnés d’une année donnée qui ont des antécédents judiciaires au moment de leur condamnation. Il s’agit d’un regard vers le passé et non d’une indication pour le futur du risque de récidive. « Avec ces chiffres, on peut pour l’essentiel étudier la façon dont les juridictions de jugement tiennent compte, dans le choix de la peine, du poids du passé judiciaire » , ajoute M. Tournier.
La dernière erreur vient d’une confusion entre les stocks de détenus et les flux des sortants de prison : « Pour évaluer le nombre de sortants de prison qui vont de nouveau commettre un crime, il faut raisonner en flux de sortants et non en stocks de présents. » La durée moyenne effective de détention des condamnés pour viols et agressions sexuelles est de 2,6 ans. Le nombre de sorties annuelles est le rapport entre le stock de prisonniers et la durée de détention : ce calcul débouche sur 43 récidivistes potentiels, chaque année, chiffre que le chercheur corrige à 40 pour tenir compte du fait que certains prisonniers, placés en détention provisoire, ne seront pas condamnés.
« Notre estimation est 20 fois plus faible que celle du garde des sceaux« , conclut Pierre Tournier. « Il reste que ces 40 sortants qui vont récidiver représentent un défi pour l’appareil judiciaire et pour l’ensemble de la société, d’autant que chacun peut faire nombre de victimes« .
N. G.
P.S. :
Article paru dans l’édition du 14.10.05