Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, la lutte contre le terrorisme est une priorité nationale.
Récemment, nous avons constaté avec amertume que nous pouvions être touchés au cœur, même dans notre pays. Le terrorisme peut s’attaquer à chacun d’entre nous, hommes, femmes et enfants, sans distinction. Entre l’affaire Merah et le démantèlement récent de cellules terroristes après une attaque à la grenade dans une épicerie juive à Sarcelles, le contexte est très préoccupant. Il nous rappelle que la menace est présente, diffuse, sournoise. Nous devons nous protéger : nous sommes tous d’accord là-dessus. Toutefois, nous devons nous garder d’agir sous le coup de l’émotion, et il importe de penser, sur le fond, aux racines de ces actes extrémistes.
Nous le savons, le terrorisme a des racines profondes, qu’une législation antiterroriste ne saurait totalement éradiquer. Pour lutter efficacement contre ce mal insidieux, il faut se donner les moyens de prévenir l’émergence d’un tel mal, notamment au sein de nos quartiers populaires, qui ont été laissés à l’abandon. L’engagement qu’a pris le Président de la République de renforcer la police de proximité, à travers les zones de sécurité prioritaire, vigies essentielles de la radicalisation de nos jeunes, doit contribuer à cet effort global, visant à prévenir les comportements extrémistes. Le renforcement du lien social dans ces endroits déshérités, par le biais du travail, de l’école, de la vie associative et de la présence des services publics de proximité, sera, à nos yeux, tout aussi utile dans la lutte contre les extrémismes. N’oublions pas non plus la lutte sur les valeurs : la laïcité, la démocratie et la liberté sont aussi une réponse à ces idéologies sectaires : il est important de ne pas perdre la bataille des valeurs.
La solution est-elle donc à chercher dans le renforcement de la loi antiterroriste ? Celle-ci peut, en outre, faire l’objet de certaines dérives, ce qui n’est pas sans poser des problèmes. Rappelons, en effet, que notre législation antiterroriste est l’une des plus fermes d’Europe et qu’elle ne laisse que peu de place au doute. À cet égard, elle peut contrevenir à certaines libertés individuelles.
Aurore Martin risque treize ans de prison, pour participation à une organisation terroriste. Quel acte de terrorisme a-t-elle commis ? Elle a pris part, en Espagne, à des réunions de Batasuna, parti légal en France, illégal en Espagne. Cela pose la question des limites à donner à la législation d’exception au droit commun qu’est la législation antiterroriste. Plus encore, cela amène à poser la question de la définition même de la notion de terrorisme. Comment la violence aurait-elle pu cesser en Irlande du Nord si le gouvernement britannique avait refusé de négocier avec le Sinn Féin et si Gerry Adams avait été enfermé en Grande-Bretagne ? La négociation avec l’IRA aurait été impossible, et l’arrêt de la violence également !
La loi espagnole permet la condamnation de partis politiques : elle est non seulement liberticide, mais elle empêche des rapprochements en vue d’un arrêt négocié du terrorisme. La simple participation à une réunion publique, au titre de la liberté d’expression politique, ne devrait pas vous faire encourir treize années de prison.
Puisque la notion d’association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste permet déjà d’avoir de vrais résultats, faut-il en rajouter ? Elle permet déjà très largement de placer des individus en détention provisoire – ce type de disposition a d’ailleurs été dénoncé par plusieurs associations de défense des droits de l’homme. Si nous comprenons bien que la notion de terrorisme puisse être flexible et qu’il faille l’adapter, en fonction des contextes politiques et historiques, afin de faire face à une pluralité de menaces, peut-être conviendrait-il de s’interroger sur les excès auxquels peut mener cette notion, et sur la façon de les éviter.
La loi antiterroriste doit être utilisée à bon escient et ne doit pas servir à réprimer certaines idées minoritaires dans notre espace politique. Je pense, bien sûr, aux jeunes de l’affaire de Tarnac, mais aussi aux militants indépendantistes basques ou bretons. Je rappelle que certains d’entre eux ont subi plusieurs années de détention provisoire, avant de bénéficier d’un non-lieu au terme de leur procès. Ces personnes n’ont pas été traitées avec justice. Notre législation terroriste pose des exceptions au droit commun, qui sont parfois nécessaires pour combattre la spécificité des crimes terroristes, mais qui ne doivent pas être instrumentalisées : la loi antiterroriste ne doit servir qu’à la lutte contre le terrorisme. Comme l’a souligné la Ligue des droits de l’homme, elle n’a pas vocation à devenir un instrument de lutte contre l’immigration clandestine.
C’est pourquoi nous nous interrogeons sur l’utilité de prolonger, après 2015, les dispositifs relatifs aux contrôles d’identité à bord des trains internationaux. Il en est de même de la réquisition de certaines données relatives à des communications électroniques et de l’accès, par les services chargés de la lutte contre le terrorisme, à des fichiers de police administrative. Ces mesures, instaurées en 2006, nous avaient été présentées comme expérimentales, et non comme définitives. Est-il utile de multiplier des dispositions qui s’ajoutent à l’arsenal déjà existant de la lutte contre le terrorisme ?
Pour répondre à cette question, nous présenterons un amendement, demandant qu’un rapport d’information évaluant la pertinence et l’efficacité des dispositions prorogées de la loi du 23 janvier 2006 soit remis au Parlement dans les douze mois suivant la promulgation de la présente loi. Le Gouvernement était censé remettre chaque année un rapport sur ces dispositions au Parlement, et il ne l’a jamais fait. Dois-je vous rappeler qu’un des co-auteurs d’un rapport parlementaire de 2008 observait qu’il ne fallait pas, « sous le coup d’une sorte de fatalisme juridique, et sous la pression d’hypothétiques menaces, considérer que les dispositions temporaires de cette loi [devaient] être prolongées, ou plus encore être définitivement entérinées » ? À l’aube d’une nouvelle prorogation, ces observations restent plus vraies que jamais.
La loi antiterroriste ne doit pas entraver de manière importante la liberté d’expression et son corollaire, la liberté de la presse. Il s’agit de biens précieux, qu’il nous faut défendre. C’est pourquoi nous déposerons un amendement, en vue de revenir sur la possibilité de placer des individus en détention provisoire pour l’apologie et la provocation aux actes terroristes. Cette modification de la loi sur la presse doit en effet se faire avec les plus grandes précautions. Permettre la détention provisoire de personnes ou de directeurs de publications ayant fait l’apologie d’actes de terrorisme n’aura aucune efficacité préventive dès lors que d’autres incriminations peuvent sanctionner toute préparation à un acte terroriste.
Enfin, nous comprenons le souci du Gouvernement de vouloir pallier les manquements dans le suivi des candidats potentiels au terrorisme, notamment lorsque ceux-ci rejoignent des camps d’embrigadement et d’entraînement à l’étranger avant d’aller commettre leurs actes odieux, en France ou ailleurs. Néanmoins, l’extension de l’application de la loi pénale française aux actes de terrorisme commis à l’étranger par une personne étrangère résidant habituellement en France, pose plusieurs questions d’ordre juridique. Il y a d’abord la fragilité constitutionnelle de la notion même de « résidence habituelle ». Au caractère insatisfaisant de cette notion, il faut ajouter les difficultés qu’engendrerait une telle disposition pour la recherche de la preuve, dans des pays qui ne sont pas forcément coopératifs, voire dictatoriaux.
Surtout, le code pénal permet déjà d’incriminer toute personne qui se serait entraînée à l’étranger dans un camp jihadiste, en vue de préparer un acte terroriste. Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permet également d’expulser les étrangers qui constitueraient une menace grave pour l’ordre public. Je rappellerai enfin que les étrangers ont toujours la possibilité d’être extradés.
Par ailleurs, la compétence universelle, dont cette disposition se rapproche, peut parfois s’opposer à la justice transitionnelle mise en place dans les pays étrangers. Il faudra surtout veiller à ce qu’aucune poursuite ne puisse être engagée contre une personne ayant déjà été définitivement jugée pour les mêmes faits, et dans les cas où la peine a été exécutée ou prescrite. C’est là un des fondements de notre droit, qu’il serait difficilement compréhensible de voir écarter sous couvert de l’exceptionnalité de la justice antiterroriste. Je présenterai un amendement sur cette question.
Dans ce concert de louanges sur la loi antiterroriste, il fallait bien qu’une petite voix s’élève pour en souligner les limites.
Seul le prononcé fait foi