Droits sanitaires et sociaux des détenus
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Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a un peu plus d’un an, nous étions réunis dans cet hémicycle à l’occasion de l’examen par le Sénat du projet de loi de programmation relative à l’exécution des peines. Préparé à la hâte à la suite d’un fait divers tragique, ce texte était guidé par l’idéologie, que nous avions dénoncée, selon laquelle le tout-répressif constitue le meilleur remède à la récidive.

Les chiffres le montrent, le « consensus sécuritaire » de ces dernières années relève d’une pure idéologie, qui ne résiste pas à l’épreuve des faits : en dépit des réformes engagées par le gouvernement précédent, le taux de récidive n’a cessé d’augmenter, passant de 3 % en 2006 à 6 % en 2010 pour les crimes, et de 7 % à 11 % pour les délits.

Bien sûr, la lutte contre la récidive doit continuer de guider notre politique pénale. Mais, comme le gouvernement actuel, je considère que, pour être efficace, cette action nécessite de travailler prioritairement à la réinsertion. Cela peut prendre plusieurs formes, que le temps ne nous permet pas, aujourd’hui, de détailler toutes.

Monsieur le ministre, je sais que le Gouvernement s’est d’ores et déjà courageusement saisi de la question de l’aménagement des peines. Sachez que vous avez tout notre soutien sur ce dossier. Il serait d’ailleurs intéressant, une prochaine fois, de réfléchir à la mise en place en amont d’alternatives à l’incarcération. Toutefois, c’est sur les conditions sanitaires et sociales de détention que le groupe écologiste souhaite aujourd’hui, monsieur le ministre, mes chers collègues, attirer votre attention.

C’est une évidence : une réinsertion efficace doit se préparer tout au long de l’exécution d’une peine. Or les difficultés éprouvées par les détenus pour se former, accéder à une activité ou encore se soigner montrent que toutes les conditions ne sont pas réunies aujourd’hui pour que tel soit le cas.

Concernant les droits sociaux, je souhaite en premier lieu aborder la question du travail en détention. L’exercice d’une activité rémunérée est primordial pour les personnes détenues, car il leur permet de subvenir, si elles le souhaitent, à leurs besoins. Il garantit l’indemnisation des parties civiles, amorce une démarche de réinsertion et contribue à éviter la récidive.

Cependant, malgré la nécessité d’une telle activité, seules 39 % des personnes incarcérées bénéficient aujourd’hui d’un travail : ce pourcentage inclut la formation professionnelle rémunérée, à hauteur de 14,6 % des actifs, et les emplois à l’extérieur dans le cadre d’un aménagement de peine. Ce chiffre tombe ainsi à 27 % si l’on ne prend en compte que le travail en détention.

Par ailleurs, n’oublions pas que le travail proposé est loin d’être toujours effectué à temps plein tout au long de l’année. Il est le plus souvent peu qualifié, connaît d’importantes fluctuations et sa rémunération est très faible, les revenus mensuels moyens des travailleurs détenus tournant autour de 318 euros, alors que le coût mensuel de la vie en prison est évalué à environ 200 euros.

Les personnes détenues ne bénéficient pas d’un contrat de travail et ne sont pas régies par le droit commun du travail. Les dispositions relatives non seulement à la période d’essai, au préavis, au droit commun d’expression collective des salariés, à la procédure de licenciement, mais également aux différents droits sociaux liés à l’exercice d’une activité professionnelle ne s’appliquent donc pas aux travailleurs privés de liberté. Les fiches de paie sont de surcroît souvent peu lisibles et les critères selon lesquels le montant de la rémunération est fixé, souvent très opaques.

Une question prioritaire de constitutionnalité est à l’étude sur ce sujet au Conseil constitutionnel et les prud’hommes ont accordé à une détenue, le 8 février dernier, le paiement d’un préavis de licenciement de 521 euros, les congés payés afférents, ainsi que des indemnités de 521 euros pour « inobservation de la procédure de licenciement ». Il serait bon que, sur cette question, le législateur et le Gouvernement agissent avant de se voir imposer un changement indispensable.

Exclu du droit commun, le travail réalisé en prison n’ouvre par ailleurs aucun droit à l’assurance chômage, situation qui compromet singulièrement la réinsertion des sortants. Pour ce qui est de l’assurance vieillesse, l’article 94 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites prévoyait la remise d’un rapport par le Gouvernement avant le 30 juin 2011, rapport dont nous n’avons jamais eu de nouvelles.

À ce jour, la situation des personnes incarcérées au regard de la retraite reste éminemment problématique. En l’absence d’un mode de calcul spécifique, la validation des semestres de cotisation est particulièrement difficile en prison, ce qui donne lieu à des montants de pensions très bas, de l’ordre de quelques dizaines d’euros seulement. En vertu de l’article R. 381-105 du code de la sécurité sociale, seuls les détenus travaillant au service général sont en mesure de valider leurs semestres de cotisation sur la base du temps de travail, plutôt que sur celle de la rémunération, cette règle n’étant d’ailleurs pas systématiquement appliquée par la Caisse nationale d’assurance vieillesse.

Une réflexion plus approfondie sur les moyens de faire progresser l’accès aux droits des personnes passées par la prison semble, à ce titre, nécessaire et urgent.

Par ailleurs, les dispositifs d’éducation et de formation professionnelle dans les lieux de détention subissent une situation persistante de crise structurelle et budgétaire. Pourtant, les besoins de la population carcérale sont considérables : plus d’un quart des détenus sont illettrés ou éprouvent des difficultés à lire, et près de la moitié d’entre eux n’ont aucun diplôme. En 2010, le taux de personnes ayant bénéficié d’une formation professionnelle n’a guère dépassé 8 %, et le taux de personnes scolarisées, 24 %.

Alors que les ministères de la justice et de l’éducation nationale se sont engagés à offrir aux personnes détenues « une éducation de qualité équivalente à celle dispensée dans le monde extérieur », la majorité des créations de postes réclamées par les unités d’enseignement en prison entre 2005 et 2010 ont été refusées pour des raisons d’économies budgétaires.

En outre, les fonds de fonctionnement de ces unités ont été réduits de près de 3,5 %. Dès lors, les services de l’enseignement se trouvent dans l’incapacité de répondre à toutes les demandes et sont contraints d’accorder la priorité aux formations de bas niveau, au détriment des niveaux plus élevés, notamment l’enseignement de second degré. Ils n’ont plus le temps nécessaire pour procéder au repérage systématique de l’illettrisme auprès des entrants. Du reste, moins de la moitié des personnes repérées comme illettrées et seulement un septième des personnes éprouvant des difficultés de lecture ont pu accéder à une formation générale.

Les crédits dévolus à la formation professionnelle sont marqués par la même tendance. L’offre de formation professionnelle a été réduite, et le temps annuel moyen de formation est tombé à 144 heures en 2010, contre 191 dix ans auparavant.

De surcroît, la pratique consistant à rémunérer tous les détenus stagiaires a été remise en cause : nombre de formations ne sont plus rémunérées, avec pour effet de détourner les détenus de ces cursus professionnalisants au profit de postes de travail non qualifiants, permettant seulement de bénéficier d’un revenu.

Monsieur le ministre, nous souhaitons également attirer votre attention sur les conditions de sortie des personnes détenues bénéficiant d’une mesure d’aménagement de peine sous écrou – semi-liberté, placement à l’extérieur ou sous surveillance électronique.

Ces détenus, contrairement aux personnes libérées définitivement ou bénéficiant d’une mesure de libération conditionnelle, n’ont pas le droit de récupérer à leur sortie les sommes figurant sur leur compte nominatif en prison. Or, selon les constats dressés par plusieurs structures, notamment l’Observatoire international des prisons, les sommes remises à la sortie des personnes bénéficiant de tels aménagements de peine sont souvent insuffisantes au vu des besoins.

Par exemple, en avril dernier, une personne placée sous surveillance électronique est sortie de la prison d’Annœullin avec 30 euros en poche, alors qu’elle disposait de 1 300 euros sur sa part disponible, une somme acquise grâce à son travail en détention.

Bien évidemment, l’absence de ressources suffisantes pour « reprendre pied » à la sortie est dramatique. Dans ces conditions, nous suggérons de permettre à ces personnes de bénéficier des fonds figurant sur leur « pécule de libération », car il semble absurde et contre-productif, là encore en termes de prévention de la récidive, d’attendre la fin de la mesure d’aménagement de peine pour les leur remettre.

En outre, la précarité des conditions de la sortie est souvent renforcée par un manque de préparation à cette dernière.

Ainsi, comme l’a relevé le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport d’activité de 2012, le renouvellement des pièces d’identité n’est pas systématiquement organisé.

Dès lors, de nombreux détenus sortent sans justificatif d’identité, alors même que celui-ci constitue un préalable indispensable à de nombreuses démarches administratives : sans compte bancaire, il est impossible, par exemple, de contracter un abonnement mensuel de transport pour se rendre à Pôle emploi ou à un travail.

Monsieur le ministre, la seconde partie de ma question porte sur les conditions sanitaires de détention, qui, elles aussi, sont préoccupantes et semblent contraires à l’objectif de réinsertion que nous partageons.

Pourtant, il faut le reconnaître, d’importants progrès ont été accomplis, notamment depuis la loi du 18 janvier 1994, dont l’objectif était d’assurer aux personnes incarcérées « une qualité et une continuité de soins équivalant à ceux offerts à l’ensemble de la population ». En effet, depuis cette loi, les détenus sont affiliés au régime général de la sécurité sociale dès le premier jour de leur détention, et leurs dépenses de soins sont, à ce titre, intégralement prises en charge.

Cependant, un certain nombre d’obstacles importants s’opposent à la bonne prise en charge sanitaire des détenus, à commencer par des difficultés d’ordre administratif. Les délais d’affiliation auprès de certains organismes de sécurité sociale sont très longs : ils peuvent durer jusqu’à plusieurs mois.

Par ailleurs, bien que les personnes détenues puissent en théorie faire valoir un droit, par exemple à la couverture maladie universelle complémentaire, elles sont peu nombreuses à en disposer, du fait d’un déficit important d’information. Par exemple, une étude menée par la Caisse nationale d’assurance maladie en 2009 a montré que 67 % des détenus ne disposaient d’aucune couverture maladie complémentaire.

Un autre problème se pose concernant les affections de longue durée, les ALD, que l’assurance maladie ne souhaite pas prendre en charge durant l’incarcération. En la matière, la situation est chaotique. En effet, la communication entre la sécurité sociale et les services de l’administration pénitentiaire est extrêmement compliquée, ce qui provoque, par exemple, de très fréquentes ruptures de soins lors des permissions de sortie ou à la libération définitive, la sécurité sociale ne délivrant pas toujours aux détenus un document attestant de leur affiliation, et cela bien qu’une telle délivrance soit prévue par la réglementation.

Au-delà de ces difficultés d’ordre administratif, la présence des soignants en détention se heurte souvent à une culture pénitentiaire fondée sur le contrôle. Or celle-ci entre en contradiction avec les principes déontologiques de la médecine, qui, elle, suppose une relation de confiance avec le patient. Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce point mérite lui aussi des réflexions approfondies et, certainement, des propositions de modification.

En pratique, on le sait, le secret médical est ainsi particulièrement mis à mal en prison. Lors des consultations, la confidentialité est difficile à réaliser, en raison notamment de l’exiguïté des locaux ou de leur manque d’insonorisation. La dispensation des médicaments est parfois effectuée par des personnels de surveillance, en contradiction avec les dispositions du code de la santé publique.

En outre, dans la majorité des établissements pénitentiaires, les distributions ne garantissent pas l’anonymat, notamment pour les traitements administrés aux patients atteints du VIH ou pour les traitements de substitution en cas d’addiction. Les informations circulent ensuite dans les lieux de détention, ce qui pose de réels problèmes.

L’accès aux soins est également souvent entravé par certaines règles qui prévalent dans les établissements pénitentiaires.

Par exemple, un déni existe autour de la question des pratiques sexuelles et de l’usage de drogues. Cette hypocrisie généralisée a pour conséquence les résultats médiocres enregistrés par la France dans la lutte contre les risques infectieux et la prévalence du VIH, qui est aujourd’hui 4,5 fois supérieure en détention qu’en milieu libre.

Il y aurait aussi beaucoup à dire sur les difficultés que rencontrent certains détenus pour accéder à la boîte aux lettres du médecin ou encore sur les dysfonctionnements, liés notamment au manque d’effectif des surveillants, des interventions de nuit.

Les extractions en cas d’urgence ou de nécessité d’une consultation à l’extérieur ou d’une hospitalisation posent également de nombreux problèmes, puisque, en pratique et contrairement à ce que prévoit la réglementation, les personnes détenues sont presque systématiquement menottées lors de leur transfert, sans considération ni de leur « dangerosité » ni de leur état de santé. En 2006, après une visite en France, M. Alvaro Gil-Robles, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, avait déjà dénoncé cette situation et indiqué qu’il y avait là une difficulté.

Par exemple, en 2010, un détenu de 28 ans victime d’un infarctus du myocarde survenu dans le centre de détention de Muret a été amené à demander réparation : ayant dû patienter trois heures avant d’être pris en charge, il avait subi les soins de préparation au bloc avec ses entraves aux pieds, bien que le médecin cardiologue ait demandé qu’elles lui soient ôtées. Et ce n’est qu’un exemple parmi bien d’autres.

Le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe a estimé que l’examen médical des détenus soumis à des moyens de contrainte, tel qu’il est pratiqué en France, constituait une « pratique hautement contestable tant du point de vue de l’éthique que du point de vue clinique ». Ces différentes pratiques sont d’autant plus inquiétantes qu’elles produisent, chez les personnes détenues, des refus de se soigner, ce qui, bien sûr, pose un problème de santé publique grave.

De manière générale, les moyens manquent. Là encore, dans son rapport d’activité de 2012, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté fait état d’une très grande inégalité dans l’offre de soins dans les lieux de détention.

En effet, l’accès aux soins spécialisés reste difficile : le manque de personnel médical, notamment de chirurgiens-dentistes, est général. Le problème est récurrent, les effectifs de soignants en prison ayant été déterminés en 1996 en fonction des places théoriques des établissements. Seize ans plus tard, le nombre de ces soignants est demeuré inchangé, alors que la population pénale, qui s’élevait alors à 57 000 personnes, en compte aujourd’hui 10 000 de plus.

Par ailleurs, l’offre de programmes d’éducation pour la santé et d’actions de prévention demeure souvent insuffisante faute de moyens humains, obligeant les unités de consultation et de soins ambulatoires, les UCSA, à se concentrer uniquement sur les soins curatifs.

Les récentes contaminations par le bacille de Koch, vecteur de la tuberculose, intervenues en prison mettent en lumière ce déficit de prévention. Le dernier cas révélé concerne cinq surveillants de la maison d’arrêt de Villepinte, contaminés par un détenu. Il faut dire que cet établissement, prévu au départ pour moins de 600 prisonniers, en compte aujourd’hui plus de 900…

De surcroît, l’accès aux soins est inséparable des conditions matérielles de vie des personnes privées de liberté. Or, en pratique et de manière générale, l’état d’insalubrité de certains établissements pénitentiaires limite l’utilité des contrôles.

Autre difficulté, les conditions de détention sont particulièrement mal adaptées à certains types de détenus. On pourrait notamment évoquer le vieillissement de la population pénale, qui entraîne, par ailleurs, une augmentation du nombre de personnes en situation de dépendance. On estime aujourd’hui que près d’un détenu sur dix a besoin d’une assistance quotidienne en raison d’un problème de santé. Or le manque de moyens favorise bien évidemment la dégradation accélérée des capacités d’une partie des détenus.

Enfin, les troubles psychiques concernent un nombre de plus en plus important de personnes en détention. Faute de structures de soins adaptées, l’hôpital laisse à la rue des malades, jusqu’à ce que leurs symptômes les fassent basculer dans la criminalité ou la délinquance. Aujourd’hui, ce problème a pris une dimension considérable, 16 % des détenus ayant été hospitalisés pour raisons psychiatriques avant leur incarcération.

Si la loi du 9 septembre 2002 a créé les unités hospitalières spécialement aménagées – ou UHSA –, certains professionnels, indiquant qu’ils les considèrent comme « un formidable effort dans la mauvaise direction », demandent une évaluation de la première tranche de ces nouvelles structures. Il est vrai qu’une réflexion doit être menée à leur sujet : en renforçant la psychiatrisation, en transformant l’hôpital en lieu de soin carcéral, les UHSA instrumentalisent la psychiatrie à des fins répressives, sans permettre à l’hôpital public d’améliorer ses missions de soin par ailleurs.

Il faudrait aussi réfléchir de façon urgente à l’atténuation de la responsabilité pénale des auteurs d’infraction dont le discernement était altéré au moment des faits. Mon collègue Jean-René Lecerf a notamment formulé des propositions très précises sur cette question.

Monsieur le ministre, pour résumer, vous aurez compris que notre groupe partage l’objectif que s’est fixé le Gouvernement : orienter les efforts et les moyens de la politique pénitentiaire vers la réinsertion plutôt que vers la répression. À ce titre, nous aimerions connaître les actions que le Gouvernement envisage pour améliorer les conditions sanitaires et sociales de détention en France.

Il nous semble important d’élargir le débat au-delà du problème de la récidive, un point important et sensible, qui a beaucoup été débattu ces dernières années. Depuis la révolution de 1789 – les textes de l’époque l’attestent –, sur la base de valeurs humanistes, notre République définit la prison comme le lieu de la sanction, mais aussi de l’amendement possible du condamné par le travail et par la formation. En 2013, quels moyens mettons-nous en œuvre pour donner aux détenus cette possibilité d’amendement ?

Monsieur le ministre, par cette question orale avec débat, nous voulions vous alerter sur la situation des détenus, qui est loin d’être satisfaisante, et qui est même terriblement préoccupante. Nous espérons que nous pourrons travailler ensemble à l’améliorer.