Eva Joly : Donner un statut aux animaux
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Réponses d’Eva Joly au questionnaire de la Fondation 30 Millions d’Amis

1. Régime juridique de l’animal

Afin de donner à l’animal un régime juridique cohérent tenant compte de sa nature d’être vivant et sensible, prendrez-vous la décision de retirer l’animal du droit des biens et de créer dans le Code civil, à côté des « Personnes » et des « Biens » une troisième catégorie pour les « Animaux » ?

Je prévois dans mon programme la présentation au Parlement d’une loi sur les droits et la protection des animaux (loi DPA) qui propose notamment une nouvelle définition du statut animal dans le Code civil, afin que les animaux soient reconnus comme des êtres sensibles, et non plus seulement comme« biens meubles » ou « immeubles ». Elle agira également contre le trafic d’animaux et mobilisera pour cela les forces de Police (douanes, gendarmerie, police). Le bien-être animal sera pris en compte dans les politiques thématiques (transport, abattage et bâtiments en agriculture, animaleries, cirques…) et les pratiques brutales, cruelles et indignes seront proscrites.

 

2. Trafics d’animaux de compagnie

Prendrez-vous la décision d’interdire l’importation en France d’animaux de compagnie ainsi que leur commercialisation dans les animaleries ?

Prendrez-vous également la décision d’interdire les ventes d’animaux par petites annonces à défaut de pouvoir les contrôler strictement ?

Si je réponds sans hésitation oui à votre seconde question, permettez moi d’être plus prudent quant à la première. Je crains que ces interdictions favorisent la prolifération d’un marché illégal de commerce animalier qui aggraverait les conditions de traitement des animaux concernés. Si je suis ouverte à la discussion sur ce point, je suis pour l’instant davantage favorable à un encadrement plus strict des élevages et animaleries, s’inscrivant dans la loi sur les droits et la protection des animaux (loi DPA) que je souhaite présenter au Parlement.


3. Expérimentation animale

Prendrez-vous la décision de promouvoir une politique volontariste de recherche, de validation et de mise en ?uvre de techniques expérimentales n’utilisant pas l’animal comme modèle biologique ?

Oui, il est urgent de regarder filière par filière les suppressions d’expérimentation animale réalisables immédiatement, tout en travaillant à l’adaptation de l’expérimentation et à la mise en oeuvre de méthodes de substitution, en coopération avec les scientifiques.

 

4. Corrida

Vous engagerez-vous à demander l’annulation de l’inscription de la tauromachie au patrimoine culturel immatériel de la France ?

D’un point de vue législatif, prendrez-vous la décision de promulguer une loi visant à supprimer le troisième alinéa de l’article 521-1 du code pénal ? Si cet article punit sévèrement les sévices graves et les actes de cruauté envers les animaux, son alinéa 3 autorise les spectacles taurins avec mise à mort lorsque qu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Cette exception légale aux sévices graves, simple tolérance du législateur face à des pratiques d’un autre temps, légitime la mutilation de centaines de taureaux chaque année en France.

La récente inscription de la corrida au patrimoine immatériel français soulève à nouveau la question de la légitimité de la persistance de cette pratique. La notion floue de « tradition locale ininterrompue » a ouvert la voie à de nombreuses dérives : reprise de la tauromachie dans des zones où elle avait disparu depuis plusieurs dizaines d’années, extension de la pratique à une entité administrative large sous prétexte qu’elle existait dans une localité… Dès lors, le principe d’interdiction stricte avec quelques exceptions s’est vu mué en des autorisations de plus en plus larges et le concept même de « tradition locale ininterrompue » est devenu totalement absurde. La question principale est donc de savoir si un spectacle dans lequel la violence sur un être vivant constitue l’aspect essentiel est un bien culturel à préserver et à transmettre…

Je suis personnellement choquée par la tauromachie, dont le prétendu art défendu par ses partisans repose en réalité sur l’infliction de sévices et de souffrances. Dans une société moderne, une telle pratique ne devrait selon moi plus avoir sa place. Sa continuation relève d’un anachronisme. Je considère que la question de l’interdiction de cette pratique doit passer par un nécessaire débat et l’organisation de référendums locaux, afin de permettre à chacun d’exprimer son opinion et d’être le mieux renseigné possible. La prise de décision descendante doit être substituée à une véritable concertation avec les populations concernées afin de mettre un terme à la souffrance animale.


5. Elevage, transport, abattage des animaux de ferme

Prendrez-vous la décision de promouvoir l’élevage des animaux de ferme sur le lieu où ils sont nés – évitant ainsi les transports vers d’autres pays pour engraissement – et la création d’abattoirs régionaux implantés à proximité des lieux de production ?

Prendrez-vous la décision d’en finir avec l’inacceptable mode d’élevage intensif et réorienter la production animale vers un élevage respectant les impératifs biologiques et comportementaux des animaux de ferme, conforme au désir des consommateurs de disposer de produits de qualité ?

Prendrez-vous la décision de modifier l’article R.214-70 du Code rural afin de rendre obligatoire l’étourdissement des animaux de ferme avant leur abattage sans exception pour l’abattage rituel ?

La loi sur le bien être animal souhaitée par Europe Ecologie-les Verts vise à encadrer l’ensemble des politiques thématiques, y compris le transport, qui trop souvent s’avère brutal et générateur de souffrances pour les animaux. Il est d’autant plus important d’encadrer le transport en France que notre pays est le principal exportateur d’animaux d’élevage vivants en Europe, dont il s’est fait une spécialité par exemple sur les bovins. Là aussi, il existe des solutions en amont, notamment par l’agriculture en circuit court (de proximité), et des solutions en aval : conditions de transport meilleures, contrôles sévères, plus nombreux, pas de transport d’animaux vivants sur de trop longues distances.

Concernant les modes d’élevage, je suis partisane d’un élevage de qualité, à l’herbe, et aux protéines végétales locales,  essentiellement dans les zones de montagne et de parcours dédiées à ces activités. Par contraste, je suis opposée à l’élevage industriel et notamment aux unités d’engraissement spécialisées des animaux à viande. Pourtant, les aides communautaires ne sont généralement pas orientées sur les élevages de qualité, étant découplées des produits et des conditions de production. Il convient donc d’agir sur la conditionnalité de ces aides, les objectifs de celles-ci devant être globalement revus pour des raisons sociales, environnementales, d’aménagement du territoire et de bien-être animal. Pour cela, de nombreux moyens existent : baisse planifiée des subventions à cette mauvaise agriculture et aides dirigées pour le bien-être animal, éco-conditionnement des aides, contrôles intégratifs (multi-critères dont le bien-être animal, traçabilité, étiquetage, etc.).

Concernant la question de l’étourdissement des animaux avant leur abattage, je regrette profondément l’utilisation politicienne qui est faite de cette question. Et je suis convaincue que tous ceux qui luttent sincèrement contre la souffrance animale vivent très mal l’exploitation de leur combat par ceux qui n’ont qu’un objectif : stigmatiser les musulmans et offrir des boucs émissaires à la vindicte populaire.

J’ai une conviction : la cause animale ne progressera que si nous réussissons à l’extraire du petit jeu politicien. A l’opposé d’une polémique ciblée, je souhaite donc un dialogue apaisé sur l’ensemble des questions que vous soulevez dans votre questionnaire. C’est dans ce contexte qu’émergeront les solutions sur les techniques d’abatage permettant de limiter au maximum la souffrance animale, notamment pour l’abatage à caractère religieux. Des solutions existent et sont déjà pratiquées par certaines institutions religieuses, et c’est par le dialogue qu’elles se généraliseront, pour aboutir en pratique à la fin de l’abatage sans étourdissement. En cristallisant les positions, la polémique en cours ne fait que retarder cette évolution.

 

6. Fourrure

Vous engagerez-vous à interdire les élevages d’animaux pour leur fourrure en France ?

Prendrez-vous la décision de réglementer strictement l’étiquetage des fourrures en informant le consommateur sur quelle espèce elles ont été arrachées, leur provenance exacte, la méthode de mise à mort de l’animal et le nombre de spécimens sacrifiés pour réaliser la pièce portée ?

Je m’engage à établir un plan de fermeture des élevages d’animaux dont la finalité est la production de fourrure en France, lequel prévoira conjointement un accompagnement de la nécessaire reconversion des éleveurs. Cependant le cas des lapins est un peu différent, car le traitement des peaux est un sous-produit de l’élevage premier pour la viande. Leur élevage et abattage doivent cependant être revus au sens du bien-être animal.

Je suis tout à fait favorable à ce que des règles strictes sur l’étiquetage des fourrures soient mises en place. La traçabilité des produits et l’information des consommateurs doivent être systématiquement favorisées, d’autant plus lorsqu’il s’agit de produits qui peuvent induire des souffrances animales lors de leur fabrication, afin d’encourager les consommateurs à effectuer des choix responsables.

 

7. Chasse / Faune sauvage

Prendrez-vous la décision d’interdire la chasse à courre dans notre pays ?

Ferez-vous évoluer notre législation afin que les articles R.654-1 et L.521-1 du Code pénal prennent enfin en considération tous les animaux sans distinction ?

Les députés écologistes sont intervenus dans ce sens à plusieurs reprises. Ils ont d’ailleurs déposé une proposition de loi demandant l’abolition de la chasse à courre, à cor et à cris. Je soutiens cette demande d’abolition, car la chasse à courre au final n’est qu’un jeu barbare pratiqué par certains initiés et qui entraine des souffrances terribles pour les animaux poursuivis.

Je souhaite également réformer le droit de la chasse, en rétablissant une journée par semaine sans chasse, afin d’améliorer l’égalité, la sécurité, l’accès aux lieux où la chasse est pratiquée et la sérénité de nos concitoyens. Je propose également de revoir le financement, la fiscalité, l’octroi des permis, mais aussi de réexaminer la notion de « nuisibles » qui n’a pas de sens.

Comme je l’explique ci-dessus, étant opposée à la perpétuation de la tauromachie et des combats de coq, je souhaite que soient organisés un débat sur la question suivi de référendums locaux afin que soit prise démocratiquement une décision qui, je l’espère, permette de mettre un terme à la souffrance animale.

 

8. Animaux de cirques

Prendrez-vous la décision de modifier l’arrêté du 18/03/2011 fixant les conditions de détention et d’utilisation des animaux vivants dans les établissements de spectacles itinérants afin qu’il s’engage, à l’instar des lois déjà en vigueur dans de nombreux pays européens, dans la voie de l’arrêt progressif de la détention d’animaux sauvages dans les cirques ?

L’utilisation d’animaux dans les cirques doit être revue et strictement encadrée. L’utilisation d’animaux sauvages doit être progressivement interdite, et les pratiques brutales, cruelles et indignes doivent être proscrites, avant, après et pendant les séances publiques. Un certificat en la matière devrait accompagner les demandes d’installation en mairie. Les gardes-champêtres (ou policiers municipaux) devraient avoir comme mission, accompagné de la commission communale pour la nature et l’environnement, siégeant alors en commission du Bien être animal, de contrôler la véracité de ce certificat, les conditions de détention et de travail des animaux ; un formulaire spécifique serait fourni, renseigné et signé, avec renvoi de copie au Service départemental en charge de la PA.

 

9. Education

Prendrez-vous la décision d’instaurer une éducation au respect de la nature et à la connaissance de l’animal à tous les niveaux de l’enseignement et dans toutes les filières ?

L’éducation à l’environnement, au respect et à la connaissance de la nature et des animaux est le type même d’enseignement mal adapté à notre système éducatif. Il peine à trouver sa place à l’école, comme toutes les « éducations à » (aux médias, à l’image, à la sexualité…) qui entrent mal dans le cadre des enseignements disciplinaires. Résoudre ce problème impose de rédiger les programmes scolaires en les définissant par leurs finalités, en laissant aux équipes pédagogiques la possibilité de définir les contenus d’enseignement, les modes de regroupement et les horaires qui permettront d’atteindre ces objectifs nationaux. C’est dans ce cadre que l’éducation à l’environnement et au développement durable, au même titre que les autres « éducations à », pourra trouver un espace de développement à la hauteur des enjeux. C’est dans cette optique que je souhaite, en complément, instaurer dès 2012 une sortie annuelle pour chaque enfant qui soit consacrée à la sensibilisation à la nature et au développement durable.

 

10. Organisation des Services administratifs

Donnerez-vous aux services ministériels chargés du bien-être animal ou de la préservation des espèces un rang administratif plus élevé que celui des « bureaux » actuels ?

Fournirez-vous à ces nouveaux services les moyens nécessaires en personnel comme en attribution budgétaire, afin de les rendre plus efficaces ?

L’enjeu est bien de faire exister la question de la condition animale de manière transversale, dans les ministères et toutes les politiques thématiques, y compris l’alimentation et la santé, en accordant à la protection et au bien-être des animaux des moyens appropriés en termes d’expertise, d’incitations, de contrôles et de formations. C’est la solution que je prône et que je souhaite mettre en oeuvre.