Mise à exécution des peines, surpopulation des prisons et loi pénitentiaire
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« Comment peut-on parler de justice quand il y a 82 000 peines non exécutées parce qu’il n’y a pas de places dans les prisons ? ».

Ainsi s’exprimait le président de la République devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, le 22 juin 2009. Un chiffre est annoncé, il est considéré comme inacceptable, et la cause (unique ?) de cette situation préjudiciable est avancée : le manque de places en prison. Présentation bien rapide d’au moins cinq sujets importants et complexes :
1. la mise à exécution des peines privatives de liberté,
2. l’aménagement des peines sous écrou,
3. la surpopulation endémique des maisons d’arrêt,
4. la détermination de ce que devrait être un parc pénitentiaire adapté aux besoins de notre pays en terme de prévention, adapté aussi aux valeurs fondatrices de notre République,
5. L’évolution des délits et des crimes et celle des modes de sanction par la société. Cela fait beaucoup à traiter en une seule affirmation qui se révèle à l’analyse un peu spécieuse.

Le chiffre de 82 000 (82 153) provient d’un rapport de l’Inspection générale des services judiciaires intitulé « Les peines d’emprisonnement ferme en attente d’exécution ». Ce rapport de mars 2009 a été rendu public en juillet et mis en ligne sur le site du ministère de la Justice. Le quotidien Le Monde en a rendu compte, dans son numéro daté du 22 juillet, de façon claire et précise (article d’Alain Salles). Comme le titre du rapport l’annonce, il est bien question de peines en attente d’exécution et non des peines non exécutées … à jamais, de « peines perdues »… 90 % de ces peines sont inférieures ou égales à un an d’emprisonnement. Dans ce cas, le législateur a (sagement) prévu que le juge de l’applica-tion des peines examine s’il est possible d’aménager cette peine, c’est-à-dire de la mettre à exécution certes, mais sous une forme appropriée (placement sous surveillance électronique, semi-liberté, travail d’intérêt général, etc.).

Le rapport insiste ainsi sur le fait qu’une partie importante de ce stock de 82 000 peines « se trouve dans le circuit de l’aménagement (31 000 condamnations) et a donc vocation à être aménagée dans une proportion de plus de 50 % ».
Si le législateur a prévu cette procédure, c’est bien qu’il considère, comme normal de ne pas faire exécuter toute peine privative de liberté en détention.

La décision que va prendre le juge de l’application des peines (aménager ou non ?, et si oui comment ?) va évidemment faire intervenir une multitude de facteurs qui mériteraient d’être analyser de façon scientifique (Que fait la recherche ?) : des éléments liés à l’infraction sanctionnée, à la personnalité du condamné, à son parcours, mais aussi des facteurs que j’appellerais « de contexte ». Pour décider d’un aménagement de peine en « milieu ouvert » sous le contrôle des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), le JAP ne va-t-il pas se soucier des conditions concrètes de suivi possible, des moyens en personnel disponible ? Cela nous parait tout à fait légitime car le sens de la peine, dans son exécution, en dépend. Quand saura-t-on mesurer la surpopulation en milieu ouvert, qui signifie absence de suivi pour tel ou tel condamné qui en aurait le plus grand besoin ?

Avant de renoncer à un aménagement en milieu ouvert, le JAP n’a-t-il pas, aussi, à se poser des questions sur l’état de surpopulation des prisons ? Ne doit-il pas s’interroger sur les conditions concrètes d’exécution en détention, sur le sens d’une peine qui peut s’avérer contreproductive, voire se transformer en un traitement dégradant ?

Alors « pas assez de places » comme dit le Président de la République ? « Trop de détenus » comme on dit généralement à gauche ? « Des prisons sans peine, des peines sans prison » comme disent les libertaires (slogan inepte de l’Observatoire « international » des prisons) ? Des années de travaux de recherche sur le sujet m’amènent à penser, aujourd’hui, qu’il y a trop de détenus et pas assez de places, pas assez de « places » qui permettent de respecter les règles pénitentiaires européennes (RPE). Nous y reviendrons prochainement.

« Offensive » venue de l’extrême droite contre les RPE et la loi pénitentiaire

Le surlendemain de la déclaration de Nicolas Sarkozy, sa phrase sur les 82 000 peines « non exécutées » sera reprise, par l’association dite « Institut pour la Justice » (IPJ) dans un encart publicitaire d’une page entière publiée dans Le Figaro du 25 juin.
Dans son bulletin Droit et Liberté n°4, de juillet – août, l’IPJ revient sur les « 82 000 peines qui ne sont pas effectuées ». Mais ce n’est rien par rapport au ton général de cette publication d’une rare violence, en particulier vis-à-vis du Conseil de l’Europe – « tour de Babel » -, du Conseil de coopération pénologique, des règles pénitentiaires européennes – « règles absurdes » – mais aussi des ONG françaises d’aide à la réinsertion des personnes détenues traitées par l’lPJ « d’innombrables groupuscules aux noms barbares ». Sont citées la FNARS, la FARAPEJ, le GENEPI, l’ANVP.

L’IPJ, que son délégué général, Xavier Bébin « expert en criminologie » (sic) présente comme « strictement apolitique » est présidée par Marie-Laure Jacquemond, 32 ans, diplômée de l’Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP). Cette personne qui se présente comme la fondatrice de l’IPJ est par ailleurs la trésorière de l’Association Créer son école, elle-même liée à l’Association pour la fondation de service politique, mouvement catholique ultra conservateur. L’IPJ, a, par ailleurs demandé au Colonel Philippe Schmitt, de présider son comité de parrainage. Il est le père d’Anne-Lorraine, décédée, à 23 ans, à la suite d’une agression à l’arme blanche avec tentative de viol, dans le RER D le 25 novembre 2007 (1). La personne mise en examen pour ce terrible crime, rapidement écrouée, n’a pas encore été jugée [1] .

Sagesse

« Mobilisée pour empêcher l’application des RPE en France » l’IPJ mène campagne – « une offensive » – pour que l’Assemblée nationale revienne sur nombre d’avancées du texte de la loi pénitentiaire adopté par le Sénat en mars dernier, avancées vers des conditions de détention plus respectueuses de la dignité de la personne, avancées vers un meilleur suivi des condamnés, avancées vers une prévention plus efficace de la récidive des infractions pénales, avancées en terme de sécurité publique dans le respect des valeurs de la République.

Nous espérons que la majorité UMP, élue sur un programme qui faisait explicitement référence à l’application des RPE en France, ne trahira pas, sous l’influence de cette « campagne marketing » bien étrangère aux traditions de notre démocratie.

Nous espérons que les groupes de la majorité et de l’opposition auront la sagesse de s’atteler, ensemble, à l’amélioration du texte du Sénat, sur tel ou tel point, en retrouvant l’esprit des rapports parlementaires de l’année 2000, celui des « majorités d’idées », chères au président Edgar Faure.

Pierre V. Tournier

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Notes

[1] Mme Jacquemond est l’épouse de Vincent Laarman, lui aussi diplômé de l’ESCP, délégué général de l’Association SOS-Education que l’on peut situer dans la même mouvance, dont elle reconnaît utiliser les services et « les méthodes de communication efficaces ». L’IPJ présente M. Laarman comme « l’un des meilleurs spécialistes français du marketing direct ». Ceci expliquant cela, l’IPJ comprend, parait-il « 160 000 sympathisants actifs dès la première année ».